Tenancingo © AFP

Tenancingo, la capitale de l’esclavage sexuel

Le Vif

Tenancingo porte bien son nom. Située à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Mexico, cette ville – qui signifie « la cité emmurée » en nahuatl, une langue amérindienne – n’aime pas les regards indiscrets.

La « capitale » mexicaine de l’esclavage sexuel est équipée d’un brouilleur de signaux qui empêche les curieux – policiers ou journalistes – de prendre des images aériennes à l’aide d’un drone.

S’y rendre est encore plus dangereux.

L’équipe de l’AFP qui voulait arpenter ses rues à l’aide d’une escorte de policiers en civils, s’est vu recommander par les agents de ne pas descendre du véhicule et de rouler sans s’arrêter, face au risque que les habitants fassent sonner les cloches de l’église: le signe de ralliement de la population pour lyncher les intrus.

Pour interpeller seulement trois proxénètes l’an dernier, Interpol a dû lancer une opération héliportée à l’aide de cinquante hommes soutenus par 250 militaires mexicains.

Sur l’avenue principale, les maisons modestes en parpaings contrastent avec les demeures imposantes pouvant atteindre quatre étages, colorées. Ce sont les petits palais grâce auxquels les proxénètes exhibent leur puissance et éblouissent leurs futures victimes, expliquent les policiers.

Les proxénètes recrutent des jeunes Mexicaines qu’ils prostituent de force dans le secteur ou qu’ils envoient à l’étranger dans des grandes villes américaines, et même jusqu’en Nouvelle-Zélande.

« Ils les emmènent au nord et les font passer la frontière clandestinement » explique Juana Camila Bautista, une juge mexicaine spécialisée dans la prostitution forcée.

Tenancingo
Tenancingo© AFP

– ‘Comme une princesse’ –

Karla Jacinto, une Mexicaine de 25 ans a été obligée de se prostituer près de Tenancingo de l’âge de 12 ans jusqu’à 16 ans.

Tout a commencé dans le métro de Mexico quand un jeune homme l’a abordée. A cette époque, elle aimait « patiner, écouter du hip-hop et rapper » pour oublier sa mère violente qui parfois la jetait à la rue.

Le jeune homme s’est fait passer pour quelqu’un d’aussi malchanceux qu’elle, lui a offert un caramel, puis l’accolade « la plus sincère et honnête » de toute sa vie.

Après une promesse d’un mariage, il l’a emmenée à Tlaxcala, près de la « cité emmurée ».

Durant trois mois, Karla a été traitée comme une « princesse »: se promenant en voiture de luxe, conviée chez les propriétaires d’énormes maisons qui lui promettaient d’entrer bientôt dans la famille, une fois mariée.

Mais un jour tout a changé. Son fiancé l’a forcée à se prostituer sous les coups et les menaces de mort. Elle a dû recevoir « plus de 30 hommes » le premier jour.

« Je les suppliais de me laisser en paix, je fermais les yeux », se souvient-elle.

Quand elle ne faisait pas son quota, son proxénète la frappait ou même la brûlait « avec un fer à repasser », la laissant quasi pour morte à trois reprises.

– ‘Sans valeur’ –

Les proies les plus faciles « sont les jeunes filles qui ont des carences affectives, et sont donc vulnérables », raconte Mario Hidalgo, 39 ans, aux bras couverts de tatouages de femmes, qui a été proxénète durant une décennie.

Il a appris le métier au contact d’un proxénète de Tenancingo.

A 17 ans, il a débuté en ramassant d’abord les préservatifs usagés dans les chambres avant d’attirer ses premières victimes deux ans plus tard.

Dans sa minuscule maison de l’Etat de Mexico, près de la capitale, il raconte qu’à force de voir sa mère frappée et exploitée, il avait fini par penser « que la femme n’avait pas de valeur ».

Tenancingo
Tenancingo© AFP

La violence envers elles ne lui semblait pas choquante. « Je faisais attention de ne pas les frapper au visage ou aux jambes. Je les frappais très fort, dans le dos, les fesses, j’en suis même venu à leur donner des chocs électriques », décrit-il entre silences et soupirs.

Avec son frère, ils ont exploité dans la capitale jusqu’à une vingtaine de femmes. Chacune d’elle pouvait rapporter jusqu’à près de 400 dollars par jour.

Jusqu’à leur arrestation en 2003.

Selon la magistrate, cette activité criminelle serait la deuxième plus lucrative au Mexique après le trafic de drogues.

« Quand on arrête une bande, aussitôt une autre apparaît », déplore-t-elle.

Karla arpente désormais les écoles du pays avec une ONG pour alerter les jeunes filles sur les dangers qui les guettent.

En prison, où il a passé onze ans, Mario s’est lui converti pour devenir évangéliste.

jg/se/juf

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire