La guerre en Syrie a déjà fait plus de 380.000 victimes depuis 2011 © belga

Syrie : théâtre d’une tragédie humaine

Le Vif

Plus de 380.000 morts, plus de la moitié de la population déracinée et un pays en ruines, la guerre en Syrie est le théâtre d’une tragédie humaine. Témoignages et retour sur la situation dans le pays.

Plus de 380.000 morts, plus de la moitié de la population déracinée et un pays en ruines: déclenchée en mars 2011, la révolte contre le pouvoir en Syrie s’est muée en une guerre dévastatrice, impliquant groupes rebelles, mouvements jihadistes et puissances étrangères.

Lourd bilan de morts et du taux de handicap

Plus de 380.000 personnes ont péri depuis le début de la guerre, selon un bilan donné début janvier 2020 par l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH). Parmi elles, plus de 115.000 civils, dont 22.000 enfants et 13.612 femmes, d’après l’ONG, qui dispose d’un vaste réseau d’informateurs à travers la Syrie.

Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la crise syrienne représente l’une des situations d’urgence les plus graves et les plus complexes au monde, le conflit ayant considérablement affaibli le système de santé.

Dans certaines régions, les taux de handicap atteignent 30% de la population, soit le double de la moyenne mondiale (chiffres de mars 2019).

Au moins 45% des personnes blessées devraient vivre avec un handicap permanent nécessitant des soins spécialisés longtemps après la fin des hostilités.

Ibrahim, un corps marqué à tout jamais par la guerre en Syrie

Il a perdu trois doigts dans un bombardement, une partie de l’ouïe dans un raid, puis la vue et l’usage de ses jambes. A chaque fois qu’Ibrahim al-Ali a fui les violences en Syrie, la guerre l’a rattrapé et l’a marqué dans sa chair.

Dans un camp de déplacés du nord-ouest du pays, ce père de quatre enfants dévoile les cicatrices laissées par un conflit qui entre dans sa dixième année: une balafre au torse, des coupures au bras et d’autres blessures au crâne, à la nuque et à la taille.

« Je ne peux plus porter mes enfants », déplore cet ancien forgeron de 33 ans.

Sur son téléphone, M. Ali a conservé de vieilles photos de lui qui montrent un jeune homme élancé, dans la force de l’âge.

« Je ne peux ni travailler ni me déplacer », lâche le trentenaire, assis au sol, les yeux fermés et tâtonnant à la recherche de sa tasse de café posée devant lui.

Il vit aujourd’hui près de la frontière turque, secteur relativement épargné par les violences. Comme près d’un million de personnes selon l’ONU, il a fui la dernière offensive menée par le régime et son allié russe contre la région d’Idleb (nord-puest), ultime grand bastion jihadiste et rebelle de Syrie.

Début mars, le pouvoir de Bachar al-Assad a accepté une trêve, mais celle-ci reste fragile.

Ces dernières années, M. Ali n’a fait que fuir de ville en ville, pour échapper aux bombardements. Il raconte les années de guerre interminables et les circonstances de chaque blessure, sur un ton monocorde.

L’homme ne cache pas son opposition au régime. A deux reprises au début du conflit, il dit avoir été emprisonné plusieurs mois pour sa participation à des rassemblements pro-démocratie.

Puis en 2013, il doit fuir son village natal, dans la province de Hama (centre). Dans la ville de Latamné, il est blessé une première fois quand des avions du régime larguent des barils d’explosifs.

Il s’installe ensuite à Maaret Hourma, dans la province voisine d’Idleb. Lors d’un bombardement sur sa maison, il est grièvement blessé, perdant trois doigts à la main gauche.

Début 2014, dans un autre village d’Idleb, sa cage thoracique est fracturée dans des raids.

Ralliant les environs de Khan Cheikhoun, toujours à Idleb, il était presque soulagé d’avoir vécu « quasiment une année entière sans être blessé ».

Mais lors de frappes fin 2016, il est touché à la tête et depuis il n’entend plus que d’une oreille.

A l’été 2018, il échappe de justesse à la mort.

Installé dans un autre village d’Idleb, il marche sur une mine un jour en rentrant du travail. Il est grièvement touché aux jambes, et l’amputation au niveau des genoux est inévitable. Mais il est aussi blessé aux yeux.

« C’était le dernier jour de ma vie, le dernier jour où j’ai pu voir le monde », lâche-t-il.

Crise migratoire : les Syriens fuient leur pays

La guerre a entraîné la plus grande vague de déplacements depuis la seconde guerre mondiale.

Plus de la moitié de la population d’avant-guerre a été déplacée à l’intérieur du pays ou a été contrainte de fuir à l’étranger. Selon l’ONU, le nombre de réfugiés s’élève à 5,5 millions et le nombre de déplacés internes à plus de 6 millions (février 2020).

La Turquie accueille sur son territoire le plus grand nombre de Syriens, soit 3,6 millions. Et elle redoute un nouvel afflux de réfugiés, alors que depuis le début de l’offensive du régime syrien dans la région d’Idleb en décembre, près d’un million de personnes ont été déplacées, en grande majorité à sa frontière.

Le Liban dit héberger 1,5 million de Syriens (pour une population totale de 4,5 millions), dont moins d’un million sont inscrits auprès du Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR). La plupart vivent dans la précarité.

En Jordanie, plus de 650.000 Syriens sont enregistrés auprès du HCR. Amman affirme avoir accueilli environ 1,3 million de réfugiés. Suivent l’Irak (300.000 réfugiés syriens, dont la majorité kurdes) et l’Egypte (plus de 130.000 Syriens).

Des centaines de milliers de Syriens ont aussi afflué en Europe, notamment en Allemagne, où ils sont les principaux demandeurs d’asile.

Des migrants fuient les gaz lacrymogènes tirés par la police à la frontière grecque.
Des migrants fuient les gaz lacrymogènes tirés par la police à la frontière grecque.© belga

Un régime qui porte atteinte au droits humains

Le régime a été accusé d’atteintes aux droits humains depuis le début du conflit et mis en cause pour de multiples cas de tortures, viols et exécutions sommaires. Selon l’OSDH, au moins 60.000 personnes sont mortes sous la torture ou à cause des terribles conditions de détention dans les prisons. Un demi-million de personnes sont passées dans les geôles du pouvoir depuis 2011, d’après l’Observatoire.

En 2014, un ancien photographe de la police militaire syrienne, exfiltré sous le pseudonyme de « César », a révélé des photographies de corps torturés et suppliciés dans les prisons du régime entre 2011 et 2013. Il s’est enfui en 2013, en emportant 55.000 photographies effroyables.

En février 2017, Amnesty International a accusé le régime d’avoir pendu quelque 13.000 personnes entre 2011 et 2015 dans la prison de Saydnaya près de Damas.

Par ailleurs, « plusieurs milliers » de personnes ont péri dans les prisons de groupes rebelles et jihadistes (OSDH).

L’économie au plus bas

L’économie est dévastée par neuf ans de guerre : chômage, coupures de courant, pénuries de gaz domestique, … 83% de la population vit aujourd’hui sous le seuil de la pauvreté, contre 28% avant la guerre, selon l’ONU. Et 80% des ménages peinent à assurer leurs besoins alimentaires de base, selon le Programme alimentaire mondial (Pam).

Le secteur pétrolier et gazier a subi depuis 2011 des pertes estimées par les autorités à 74 milliards de dollars.

Le coût des destructions dues à la guerre a été estimé par l’ONU à plus de 400 milliards de dollars. Des localités et des villes entières ne sont plus que des champs de ruines.

Et pour l’ONU, la situation dans la région d’Idleb représente « la plus grosse crise aujourd’hui dans le monde ».

Pour l'ONU, la situation dans la région d'Idleb représente
Pour l’ONU, la situation dans la région d’Idleb représente « la plus grosse crise aujourd’hui dans le monde »© belga

« La peur de la mort a laissé place à une peur de la pauvreté »

Les habitants des territoires gouvernementaux vivent un quotidien d' »après-guerre » au goût amer, marqué par les rationnements de carburants, des pénuries de certains produits et une inflation galopante.

Derrière son volant, Nabil al-Charif conduit chaque jour une quinzaine de clients qui déversent leurs doléances. « Cette voiture est devenue une caisse de résonance pour les inquiétudes des gens. Ils racontent leurs histoires douloureuses tout au long des années de guerre« , affirme le chauffeur de taxi de 63 ans.

« Si je n’avais pas des nerfs d’acier, je n’aurais pas pu supporter », dit-il. « Chaque client se plaint de la situation économique difficile et de la cherté de vie« .

Avant 2018, lui et ses passagers se déplaçaient avec fébrilité dans la ville, craignant les obus des rebelles qui tombaient. Mais si aujourd’hui les bombardements ont cessé, l’inquiétude a changé de nature.

« La peur de la mort a laissé place à une peur de la pauvreté », affirme M. Charif.

Aujourd’hui, 83% de la population vit sous le seuil de pauvreté, selon l’ONU. La guerre a laminé les infrastructures du pays, entraînant des destructions estimées à quelque 400 milliards de dollars.

Les économistes proches du pouvoir imputent la crise aux sanctions occidentales imposées à Damas. Mais aussi à la crise au Liban voisin, qui a accéléré la chute de la livre syrienne face au dollar sur le marché noir.

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