Joseph Ndwaniye

Suivez mon regard de Joseph Ndwaniye: Rendez-vous manqués (chronique)

Joseph Ndwaniye Infirmier et écrivain.

Suivez mon regard » est une nouvelle chronique mensuelle de Joseph Ndwaniye, écrivain et infirmier, pour Le Vif. L’auteur partage le regard qu’il pose sur le monde – ici et ailleurs – avec une grande humanité. Cette semaine, il revient sur un rendez-vous manqué avec le lac Kivu.

Pour sortir de Kigali côté sud, il faut s’infiltrer entre Jali et mont Kigali. Après quelques kilomètres, on arrive au lieu-dit Igiti cy’inyoni, l’arbre aux oiseaux. L’arbre a disparu depuis longtemps, mais son souvenir persiste. Car là, il ne faut pas se tromper de chemin. Après s’être engagé, impossible de faire demi-tour avant plusieurs cols dans cet environnement montagneux. Pour me rendre sur ma colline natale située à l’ouest du Rwanda, cap vers le sud jusqu’à la ville de Muhanga (Gitarama avant la réforme administrative de 2006). De là, on bifurque vers Karongi (anciennement Kibuye). C’est au bord de cette ville que s’élève la montagne du même nom, dont les pieds plongent dans le lac Kivu, formant une superbe côte verte escarpée, avec vue panoramique sur le lac.

Encore un rendez-vous manquu0026#xE9; avec le lac Kivu qui du0026#xE9;cidu0026#xE9;ment se refuse u0026#xE0; moi.

J’ai reporté ce voyage plusieurs fois. L’idée de retrouver l’endroit qui m’a vu naître et que j’ai quitté il y a trente-cinq ans me rend nerveux. Il y a quelques jours, j’ai enfin décidé d’y aller. Mais la veille du départ, alors que la situation sanitaire dans le pays semblait stable sur le plan de la pandémie de la Covid-19, le chauffeur qui devait m’accompagner m’appelle pour me dire que la ville de Karongi vient d’être confinée. Je devrai attendre le prochain Conseil des ministres dans quinze jours. Ce contretemps m’offre une excuse objective pour repousser, une fois de plus, le moment des retrouvailles avec mon passé. Pourtant, l’appel du lac Kivu se fait de plus en plus insistant. Je décide d’aller à sa rencontre dans sa partie nord, à Gisenyi, au pied de la montagne de Rubavu . J’en profiterai pour traverser la frontière et visiter Goma, en République démocratique du Congo. Cette fois, au niveau d’ Igiti cy’inyoni, nous tournons à droite pour escalader le mont Jali. Le chauffeur roule lentement pour me laisser observer la ville de Kigali qui se dévoile au fur et à mesure que la route s’élève. D’en haut, je distingue nettement la partie est, plus moderne, de celle du sud, où les avocatiers s’élèvent plus haut que les maisons.

J’aimerais m’arrêter mais nous en avons pour trois heures trente de route. Les radars fleurissent le long de la route, pas question d’accélérer pour rattraper le temps perdu. De plus, rouler de nuit peut s’avérer dangereux vu le relief difficile. A Musanze, anciennement Ruhengeri, nous sommes au pied du parc national des volcans. L’envie d’aller me confronter au gorille de montagne est immense, je regrette amèrement de ne pas l’avoir pas fait il y a trente-cinq ans. La mort dans l’âme je dois laisser ma place aux riches touristes.

Nous continuons la route creusée dans la roche volcanique jusqu’à Rubavu. Il est trop tard pour admirer le coucher du soleil derrière l’île d’Idjwi. Je me rattraperai au lever quand il surgit derrière les sommets. Au cours de la nuit, en ce 22 mai 2021, un énorme grondement accompagné de nombreuses secousses me tire brusquement du sommeil. La terre tremble de plus en plus fort. De ma fenêtre je distingue de vives lumières rougeoyantes, qui enflamment les sommets du massif des Virunga… ce n’est pas le soleil cette fois!

Affolé, le chauffeur vient frapper à ma porte: sans attendre, nous devons reprendre la route de retour vers Kigali pour nous mettre à l’abri. Le volcan Nyiragongo vient d’entrer en éruption. Espérons que la coulée de lave soit moins meurtrière que lors de la dernière éruption en 2002. Encore un rendez-vous manqué avec le lac Kivu qui décidément se refuse à moi. Je crois qu’il m’en veut…

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