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Suicide de deux octogénaires : quand mourir devient un acte militant

Muriel Lefevre

Deux octogénaires se sont donné la mort vendredi dans un palace parisien. Ils réclamaient le droit de mourir dans la dignité pour échapper à la dépendance et la séparation. Il n’en fallait pas plus pour relancer le débat sur l’euthanasie en France. Retour sur l’acte militant de ce couple pas comme les autres.

Bernard et Georgette Cazes, 86 ans tous les deux, ont été retrouvé sans vie vendredi matin dans leur chambre de l’hôtel Lutetia, un palace du VI arrondissement de Paris. Dans leur chambre on retrouve une lettre destinée au procureur de la République de Paris, où il dénonce l’obligation pour un couple ayant décidé de mourir de recourir à des « pratiques cruelles pour se donner la mort ».

Qui sont-ils ? Bernard et Georgette Cazes étaient mariés depuis plus de 60 ans. Toujours très unis, ils s’étaient rencontrés peu après la guerre à Bordeaux. Ces deux brillants intellectuels vivaient dans un petit pavillon à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) près de Paris. Bernard Caze était un ancien haut fonctionnaire, économiste et philosophe. Il est l’auteur de plusieurs livres et critiques littéraires. Georgette Caze avait été professeure de Lettre et de Latin, auteure de manuels scolaires. Elle enseignait bénévolement le français depuis qu’elle était à la retraite. Ils avaient deux fils, dont l’un mort en 1976 à l’âge de 21 ans, dans un accident de voiture.

Ce qu’il s’est passé

Georgette et Bernard avaient réservé pour une nuit une chambre « supérieure » du Lutetia une semaine plus tôt en utilisant un site Internet. « Ils étaient arrivés jeudi vers 19h30, avec un bagage », explique le directeur de l’hôtel. « Ils sont montés dans leur chambre, tout à fait normalement, et ne sont apparemment pas ressortis de la soirée. » Vendredi matin, un garçon d’hôtel du Lutetia retrouve les corps sans vie de Bernard et Georgette Cazes, tous deux allongés sur leur lit. Main dans la main, ils sont tous les deux morts asphyxiés, un sac plastique sur la tête. En commandant leur petit-déjeuner pour le lendemain matin, il espéraient peut-être être découverts à ce moment. Les motifs de ce double suicide n’ont pas été précisés. Mais ils pourraient être liés à des problèmes de santé de l’un ou l’autre des époux.

Ce geste, Bernard et Georgette l’ont expliqué dans une lettre, adressée au procureur de la République de Paris. Refusant de tomber dans une situation de dépendance, ils réclament le droit pour les personnes âgées, « n’ayant plus de charges, en règle avec le fisc, ayant travaillé toutes les années voulues et exercé ensuite des activités de bénévolat dans des services sociaux, de quel droit la contraindre à des pratiques cruelles quand elle veut sereinement quitter la vie? », fait savoir Le Parisien (article payant). Une seconde lettre a été découverte, destinée cette fois aux proches de la famille. Interrogé par le quotidien, leur fils explique que ses parents craignaient plus que tout la situation de dépendance et la séparation.

Minutieusement planifié depuis plus de 10 ans, ce suicide serait donc aussi un acte militant. Par ailleurs ce ne sont pas les premiers intellectuels à poser ce geste. Le philosophe André Gorz, cofondateur de l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur s’est lui aussi donné la mort en 2007 en même temps que sa femme à l’âge de 84 ans. On vient également d’apprendre que deux octogénaires ont été retrouvés morts lundi à leur domicile parisien après avoir mis fin volontairement à leurs jours quatre jours après le suicide du couple Cazes, a-t-on appris mardi de source policière.

Ce fait divers relance le débat de l’euthanasie en France

Bien que c’était l’un des thèmes de campagnes de François Hollande, la  » fin de vie dans la dignité « , ou autrement dit, l’euthanasie, est toujours formellement interdite en France. Si l’idée n’est pas abandonnée pour l’instant, le président n’a pas réellement envie de hérisser à nouveau la frange anti-mariage gay de la population qui avait fait tant de remous et qui ne demande qu’à se réveiller. Pour l’instant, malgré l’amorce d’un hypothétique projet de loi, il n’existe officiellement que la loi Leonetti du 22 avril 2005. Un texte qui ne vise qu’à lutter contre l’acharnement thérapeutique. Concrètement, il s’agit de proscrire l’obstination déraisonnable du corps médical pour maintenir un patient en vie. Ce qui n’a rien à voir avec l’euthanasie active.

Pourtant la population française ne semble pas foncièrement opposée à l’euthanasie. Dans un sondage IFOP publié le premier novembre dernier par l’association pro-euthanasie ADMD, 92% des Français se disaient ainsi favorables au droit à l’euthanasie pour les personnes souffrant de maladies incurables et insupportables et qui en feraient la demande. Si c’est un signe encourageant, cela n’aurait pas permis à Bernard et Georgette d’obtenir le droit de se donner la mort puisqu’il n’était pas dans ce cas de figure. À l’heure actuelle, l’euthanasie active n’est autorisée qu’en Belgique, aux Pays-Bas au Luxembourg et partiellement en Suisse.

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