Sophie Tissier. © Reuters

Sophie Tissier, l’encombrante « gilet jaune » qui « déclare les manifs »

Le Vif

Elle « déclare les manifs pour protéger les gens »: peu à peu, Sophie Tissier a imposé sa stratégie pacifique dans la machinerie des « gilets jaunes » à Paris. Mais avec son militantisme en étendard et sa personnalité « clivante », beaucoup l’accusent de gripper les rouages du mouvement.

Depuis début janvier, cette ancienne du mouvement « Nuit debout » déclare presque chaque samedi un parcours à la préfecture de police. Avec son groupe de « co-signataires », elle a conçu les parcours empruntés par plusieurs milliers de manifestants, souvent sans incident majeur.

« J’en avais assez de voir des gens blessés, des mains arrachées, des yeux crevés », explique-telle à l’AFP. « Déclarer, ça permet de soustraire les forces de l’ordre aux ordres ultra-durs de Castaner et d’inciter les gens à nous rejoindre ».

Une stratégie loin de faire l’unanimité, dans un mouvement tenté par la radicalité. « Certains nous disent qu’on ne sert à rien, qu’on fait le jeu du gouvernement. Mais pour moi, la violence permet au pouvoir d’avoir une réponse autoritaire et de nous discréditer. »

La quadragénaire en est d’ailleurs persuadée: si les Champs-Elysées ont été plongés dans le chaos le 16 mars, c’est parce que les autorités « ont laissé faire ». « On n’avait rien déclaré, tout le monde savait qu’il y aurait des black blocs en nombre ce jour-là ».

L’irruption de cette militante multicartes aux cheveux ras devant les caméras a rapidement agacé les figures historiques des « gilets jaunes ». Priscillia Ludosky, qui l’a côtoyée dans les cortèges de femmes, refuse expressément de livrer ses impressions.

Maxime Nicolle et Eric Drouet l’ont eux taclée publiquement: pour le chauffeur routier, Sophie Tissier « essaie de s’approprier tous les mouvements qui passent par là, comme les ‘Nuit debout’, les ‘gilets jaunes’, etc. »

Consciente d’être « très critiquée », l’intéressée assume de s’inscrire en faux de « l’approche viriliste » prônée par les deux barbus. « Au final, on est tous dans le même camp », évacue-t-elle, même après avoir été malmenée lors d’un défilé en janvier – un épisode pour lequel elle a porté plainte.

« A partir du moment où une femme commence à parler, on a tôt fait de la qualifier d’hystérique », la défend une militante qui l’a croisée au sein du collectif féministe « Nous Toutes ».

Révolutionnaire « blacklistée »

Être « blacklistée », l’ancienne intermittente du spectacle en a l’habitude. Sa vie a basculé en 2013 sur le plateau de Cyril Hanouna, lorsque cette petite main de « Touche pas à mon poste » a interrompu le poids lourd du PAF pour dénoncer les baisses de salaires imposées par C8.

Ces deux minutes d’audience volées ont provoqué son licenciement, une longue bataille judiciaire avec la chaîne dans laquelle elle est encore engluée, et l’ont rendue indésirable dans son milieu professionnel. Mais peu importe: « ouvrir ma gueule, ça m’a libérée », confie-t-elle. « C’est l’acte fondateur de mon engagement. »

Depuis, elle lutte sur tous les terrains: actions pour les intermittents, opposition à la loi Travail en 2016 et occupation de la place de la République avec « Nuit debout », manifestations contre les violences sexistes et pour le climat… « Mon travail, c’est de faire la révolution », balance cette mère célibataire de deux enfants au RSA.

Mais toujours sans violence, précise celle qui court les plateaux drapée dans sa « robe gilet jaune » signée par la créatrice parisienne Stéphanie Coudert. Elle y agace ostensiblement ses intervieweurs en condamnant les violences, mais pas leurs auteurs. L’incendie du Fouquet’s? « Dommages collatéraux », rétorque-t-elle sur LCI au lendemain du 16 mars, en brocardant le traitement des chaînes d’infos en continu.

Ses détracteurs soupçonnent une « démarche narcissique », de la part d’une militante qui répète à l’envi qu’occuper la place de la République pour « Nuit debout » en 2016, c’était « son idée ».

« S’approprier une idée qui est sortie d’un moment collectif, c’est stupide mais c’est typique de sa part », commente un ancien participant, lui aussi reconverti chez les « gilets jaunes ». Lui se souvient d’une militante « solitaire mais tenace ».

« Ses manifs déclarées se sont installées dans le paysage », constate-t-il. « Mais je ne crois pas qu’elle se soit fait essentiellement des amis. »

« C’est une stalinienne des bacs à sable, elle ne supporte pas la contradiction » dénonce Stéphane Espic, qui a co-déclaré quelques parcours avec elle, avant d’être écarté. « Pour elle, j’étais trop virulent » lors des rendez-vous avec la préfecture.

Symbole des violences policières depuis la perte de son oeil et pacifique lui aussi, Jérôme Rodrigues décrit une femme avec « un savoir-faire extraordinaire. Elle organise, elle sait comment fonctionne la télévision ». Mais « elle se sert des gens comme de Kleenex, elle est clivante au possible ». Samedi à Paris, lui marchera dans un cortège déclaré concurrent du sien.

L’activiste regrette ces « luttes intestines », mais ne s’en inquiète pas. « Je continue parce qu’il y a une urgence démocratique, sociale, écologique et qu’on n’est pas à la hauteur. »

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