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« Salvator Mundi », ou l’extraordinaire histoire du dernier tableau de Léonard de Vinci

Maxime Defays Journaliste

Le 15 novembre, la société de vente aux enchères Christie’s, à New York, sera en pleine effervescence. Un tableau du génie italien oublié et ensuite vendu pour à peine 45 livres avant d’être authentifié en 2011 pourrait bien être cédé à plus de 100 millions de dollars.

L’histoire extraordinaire de ce « Sauveur du Monde » réalisé par Léonard de Vinci entre 1506 et 1513, pour le roi de France Louis XII, a traversé les âges pour se retrouver en novembre prochain au centre de tous les regards des amateurs d’art. La toile qui représente un Christ donnant la bénédiction en tenant une boule de cristal dans la main gauche sera mise en vente pour le prix record de 100 millions de dollars.

Aujourd’hui, il n’est pas rare de constater des prix de vente complètement extravagants, mais c’est plutôt le cas pour des oeuvres relativement récentes, de l’époque moderne ou du moins contemporaine, rarement pour des tableaux plus anciens. Preuve que le travail de De Vinci reste à part et est bien ancré dans l’imaginaire collectif et populaire.

Seulement une quinzaine d’oeuvres sont actuellement officiellement reconnues comme provenant de la main de l’artiste italien. Elles se trouvent toutes dans un musée sauf… « Salvator Mundi », qui a seulement été authentifiée en 2011. Elle appartient pour l’instant à un collectionneur privé.

« Le Sauveur du Monde » est d’autant plus spécial que la dernière attribution d’une oeuvre à De Vinci remonte à plus de cent ans, en 1909, quand Leon Benois expose la « Madonna col Bambino » (devenue la Madonna Benois), qu’on croyait perdue, lors d’une exposition à Saint-Pétersbourg. Elle s’y trouve encore aujourd’hui, au musée de l’Hermitage.

Le tableau traverse les âges

L’histoire de ce tableau est tout simplement extraordinaire.

Le premier épisode de la saga remonte au 16e siècle, quand le roi de France de l’époque, Louis XII, commanda un tableau du Christ au célèbre artiste. Le tableau se retrouve ensuite dans la collection privée du roi d’Angleterre Charles 1er (1600-1649) avant d’apparaître dans la succession de Charles II, son fils, avant qu’on en perde la trace.

En 1763, le tableau refait surface lors de sa mise aux enchères par Charles Herbert Sheffield, le fils illégitime du Duc de Buckingham, connu pour avoir vendu l’année précédente sa (désormais célébrissime) propre demeure, Buckingham Palace, au roi George III.

En 1900, le tableau réapparaît et est acheté par un conservateur de musée anglais, Sir Charles Robinson, qui est un conseiller d’un très riche homme d’affaires, M. Cook. À ce moment-là, l’oeuvre est attribuée à un disciple de De Vinci (Leonardeschi), Bernardino Luini.

Estimant qu’elle n’avait probablement que peu de valeur, les descendants du collectionneur décident de la céder en 1958 pour… 45 livres (60 dollars de l’époque et 500 euros actuellement) chez le vendeur aux enchères Sotheby’s à Londres, lors de la dispersion de la Collection Cook, du nom du collectionneur et homme d’affaires. Là, la toile est attribuée à un autre disciple du peintre italien, Giovanni Antonio Boltraffio.

Elle disparaît ensuite pendant environ 50 ans, quand elle est achetée en 2005 lors d’une succession américaine, via un petit bureau de vente aux enchères régional de l’état de New York. S’en sont suivies 6 longues années pour déterminer son origine et son authenticité. Les deux nouveaux acquéreurs, Alexander Parish et Robert Simon, font certainement l’affaire de leur vie, et déboursent « à peine » 10.000 dollars à l’époque. Ils décident de commencer rapidement un processus d’authentification et de restauration, qu’ils confient à une professeure de la New York University, Dianne Modestini.

La professeure entreprend rapidement des phases de nettoyage, notamment avec des solvants qui enlèvent plusieurs couches de vernis, faisant apparaître de plus en plus la véritable identité de l’oeuvre. Elle procède également à quelques retouches, minutieuses et délicates, mais se rend compte assez rapidement « qu’il se passe quelque chose ».

En 2011, la peinture est présentée pour la première fois restaurée, aux côtés d’autres toiles de l’artiste italien, à la National Gallery de Londres.

Des prix de revente exorbitants

Après l’authentification, le tableau est vendu en 2013 pour un montant qui oscille entre… 75 et 80 millions de dollars, soit environ 8000 fois plus cher que son dernier prix d’achat par Parish et Simon. L’acheteur s’appelle Yves Bouvier, et gère la plupart des ports francs dans le monde.

Yves Bouvier revend l’oeuvre la même année pour 127,5 millions de dollars à l’oligarque et président du club de l’AS Monaco, Dmitri Rybolovlev, qui le met en vente chez Christie’s en novembre.

Une bataille juridique s’engage rapidement, car l’homme d’affaires russe conteste les 50 millions de bénéfice engrangés par Bouvier en quelques mois. Une saga qui est encore en cours.

La redécouverte d’un tableau dans le plus grand des hasards, conjugué au fait qu’elle provient de la main d’un artiste aussi majeur, contribue évidemment à forger sa légende, ce qui est important lors de ventes prestigieuses, et qui fait grimper les prix.

En attendant le jour « J », « Salvator Mundi » fait une tournée mondiale (Hong Kong, San Francisco et Londres notamment) pour attirer des acheteurs potentiels, avant de revenir à Manhattan.

Avec Slate.

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