Franklin Dehousse

« Sacrifions-nous trop de café sur l’autel du budget européen ? »

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

La Commission européenne a eu une idée originale pour justifier la modestie du budget européen. Il correspond, selon elle, à une tasse de café par personne et par jour en Europe. Cela n’empêche pas une multitude d’attaques, spécialement chez les contributeurs nets : Autriche, Pays-Bas, Danemark… et aussi la Belgique.

Pour la N-VA, par exemple, l’Europe s’attaque à votre argent ( » Europa is uit op uw centen « ). De façon plus curieuse, ces messages simplets sont relayés par des gens plus réfléchis. Selon le journaliste Rik Van Cauwelaert, par exemple,  » ça représente en Belgique onze millions de tasses de café par jour, et ça rend le public nerveux « . Selon l’économiste Geert Noels,  » l’Europe doit gérer l’argent de manière plus responsable « .

L’efflorescence de ces propos démagogiques, sans la moindre analyse réelle des dépenses, surprend chez des personnes éduquées en économie. Même les gens peu éclairés en management savent que ce qui importe, ce n’est pas le niveau de la dépense, mais le rapport entre la dépense et son produit. Si mon entreprise paie un logiciel qui coûte 25 % de ses revenus, c’est énorme, mais si ça permet en deux ans une réduction de 50 % des coûts, ça reste une opération magique. De même, payer des impôts élevés ne constitue pas un problème en soi. Ça le devient lorsque, en Belgique, nos dirigeants prélèvent des impôts au niveau du Danemark, en offrant des services au niveau de la Grèce avec, notamment, des structures publiques obèses, une mobilité catastrophique et une politique énergétique risible. Mais évidemment, chers Rik et Geert, effectuer une analyse complexe requiert plus d’efforts qu’un slogan facile sur une dépense absolue qui ne représente rien.

Le bilan coûts/bénéfices reste au total extraordinairement positif pour l’Union européenne

Que donne cette analyse au niveau européen ? Nous payons 1 % du PNB avec, notamment, une administration européenne moins importante que celle de la Ville de Paris. En retour, nous trouvons une série de politiques. Toutes ne sont pas une merveille, mais beaucoup sont essentielles à notre bien-être. Le marché unique et la politique de concurrence sont vitaux pour l’amélioration de la productivité. La lutte contre le changement climatique serait impossible sans le niveau européen, tout comme la défense de nos intérêts commerciaux contre les Etats-Unis, la Chine ou la Russie, la protection de nos données personnelles contre les géants de l’Internet, ou la coordination des efforts de recherche de nos entreprises. On pourrait multiplier longtemps les exemples.

Certes, la gestion européenne n’est pas parfaite (on l’a souvent dit dans ces pages). Il suffit de lire les rapports de la Cour des comptes. Par souci d’équilibrage politique, il y a trop de membres dans la plupart des institutions (Commission, Parlement, Cour de justice, Cour des comptes) avec, parfois, peu à faire. Certes, la transparence pourrait être plus grande (affaire Selmayr à la Commission, indemnisation des parlementaires). Ces problèmes doivent être combattus, mais ils existent dans tous les niveaux de pouvoir.

Néanmoins, le bilan coûts/bénéfices reste au total extraordinairement positif pour l’Union européenne. Il suffit de voir toutes les difficultés du Brexit au Royaume-Uni, qui doit réinventer une multitude de fonctions – fort souvent à un prix plus élevé. La non-Europe coûte aussi, et souvent plus. Il convient de le rappeler, car ce sont précisément des analyses démagogiques de ce type, non contredites, qui ont, finalement, provoqué le vote en faveur du Brexit.

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