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Rwanda : une  » carotte  » pour la démocratie

La Belgique et le Rwanda s’engagent dans un nouvel accord de coopération. Même si Kigali renâcle, les droits de l’homme seront au menu. Bras de fer en vue !

Encore une entorse aux affaires courantes ? La Belgique s’apprête à négocier avec le Rwanda un nouveau Programme indicatif de coopération (PIC) pour la période 2011-2014, assorti d’une manne potentielle de 200 millions d’euros, alors qu’un tel engagement nécessite d’habitude un ministre de plein exercice. « On ne pouvait plus attendre », se justifie le ministre (démissionnaire) de la coopération Olivier Chastel (MR), qui a reçu l’accord du « kern ». « Si on ne met pas en oeuvre rapidement le nouveau programme, il y aura un trou dans la coopération car l’entièreté du PIC précédent a été mis en £uvre par la partie rwandaise, dont il faut louer la rapidité et l’efficacité. » Chastel se rendra à Kigali le 18 mai pour la commission mixte chargée de fixer les détails du programme.

Vu la division des tâches entre bailleurs européens, la Belgique ne se concentrera plus que sur trois secteurs : la santé, l’énergie et la décentralisation. Mais avec un montant en forte hausse, comme pour tous les PIC d’ailleurs, un mouvement lancé par le prédécesseur Charles Michel. Certaines ONG s’inquiètent : peut-on imaginer de débourser un tel montant au profit du Rwanda sans prendre en compte le respect de la démocratie et des droits de l’homme ? Les différents scrutins sont cadenassés par le parti au pouvoir, et Paul Kagame lui-même a été réélu en 2010 avec un score stalinien. Celle qui a voulu le défier, Victoire Ingabire, croupit depuis bientôt deux cents jours en prison. Que ce soit dans la politique, la presse ou la société civile, les voix dissonantes restent confrontées au même dilemme : se taire ou s’exiler. « Le Rwanda est un pays très contrasté, résume Chastel. L’économie est en croissance, la corruption est combattue, mais, au niveau de l’Etat de droit, le score est très mauvais. »

Kagame n’apprécie pas les donneurs de leçons

Aussi la Belgique a-t-elle mis sur la table une double option : 160 millions d’euros accordés, et, après évaluation, un « bonus » de 40 millions en fonction du respect de critères internationaux en matière de gouvernance, de démocratie, de libertés individuelles… Très fières mais aussi fort susceptibles, les autorités rwandaises vont-elles accepter ce « deal » imposé par l’ancienne tutelle ? On sait que Kagame, appuyé par Londres et Washington, n’apprécie pas les donneurs de leçons, surtout belges. Sa dernière visite à Bruxelles en 2010 s’était d’ailleurs mal passée, la rencontre avec Leterme n’ayant jamais eu lieu. La pilule est d’autant plus difficile à avaler que la part belge allouée directement au budget rwandais ne dépasse pas 40 %, le solde allant à des projets dûment identifiés, alors que les Britanniques versent plus de 90 % de leur aide directement dans les caisses de Kigali !

Aussi, une manoeuvre subtile des Rwandais n’est pas exclue : « Sur le principe, ils disent oui avec le sourire, mais ils amènent des critères qui ne vont pas du tout dans le sens que nous voulons », explique un proche du dossier. Le ministre Chastel ne s’en laisse pas conter : il est « hors de question », selon lui, de laisser le Rwanda décider seul du contenu du PIC, « et si ça coince, je n’irai pas à Kigali ». Chastel n’a pas le choix : les interpellations parlementaires se multiplient sur les questions de démocratie, et le printemps arabe devrait les voir fleurir encore plus. Le Rwanda ne serait de toute façon pas une exception : le Burundi et le Congo se sont également vu proposer une telle « carotte », équivalant dans leur cas à un tiers du montant de base.

FRANÇOIS JANNE D’OTHÉE

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