Angela Merkel sur le front des secours aux sinistrés des inondations de juillet. © GETTY IMAGES

Rideau sur l’ère Merkel: une chancelière experte en gestion de crise

Nathalie Versieux Journaliste, correspondante en Allemagne

En Allemagne, peu de réformes marquantes peuvent être mises à l’actif de la chancelière. Elle a surtout su gérer les impondérables et rassurer la population en « mère de la nation ». Elle laisse de gros chantiers en friche.

Arrivée au pouvoir en 2005, Angela Merkel a hérité d’une situation économique dramatique. L’ Allemagne est alors « l’homme malade de l’Europe », avec près de cinq millions de chômeurs. Dopée par les mesures impopulaires adoptées par le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder avant qu’il ne perde les élections – le fameux Agenda 2010, catalogue de mesures d’inspiration libérale – l’économie repart. S’ensuit une longue période de croissance économique presque constante, à l’exception de deux petites phases de récession, en 2009 (crise financière) et en 2020 (crise sanitaire).

Je suis convaincu qu’elle ne serait pas restée au pouvoir pendant seize ans si elle avait mené de grandes réformes.

C’est donc renforcée par plusieurs années de colossaux excédents budgétaires que la République fédérale a abordé l’épidémie de Covid-19, ce qui lui a permis de lancer d’ambitieux programmes de relance et de sauvetage des entreprises et secteurs en difficulté. Le chômage, à 13% au départ de Gerhard Schröder en 2005, a chuté à 6,5% à la fin de 2020, soit moins de trois millions de sans-emploi. Le niveau de formation des Allemands a progressé pendant l’ère Merkel, l’Allemagne étant aujourd’hui le pays avec le degré d’éducation le plus élevé au monde, en termes d’années passées dans une institution scolaire (14,2 ans en moyenne) devant les Etats-Unis (13,4 ans), le Japon (12,9 ans) et la France (11,5 ans) tandis que le nombre de jeunes quittant l’école sans diplôme est en recul constant depuis 2013. Autre indicateur perçu de façon positive par la population, la criminalité a reculé au cours des quinze dernières années, malgré une hausse des crimes et délits liés à l’extrême droite (23 604 en 2020) et à l’extrême gauche (10 971 cas l’an passé).

Préservation des acquis

Merkel, en pôle de stabilité, en « Mutti » (maman) rassurante, abordant les crises avec sérénité et animée par la recherche du compromis… « Je ne sais pas si les Allemands regretteront le contenu de sa politique ou son style de gouvernance, sa sérénité, se demande Julia Reuschenbach, politologue à l’université de Bonn. Elle a dû gérer de nombreuses crises, beaucoup d’imprévus. Tout en se montrant à la fois expérimentée et pragmatique. » De fait, les aléas n’ont pas épargné la chancelière: crise de l’euro, des réfugiés, du coronavirus, inondations catastrophiques de 2021… Nombre de décisions marquantes de ses mandats ont été prises sous la pression de crises. « Globalement, on peut dire qu’elle a réagi plus qu’agit« , estime Ralph Bollmann, auteur d’une biographie de la chancelière. L’ ouverture des frontières aux réfugiés à l’été 2015 a été dictée par la nécessité d’éviter une catastrophe humanitaire aux portes de l’ Allemagne, en gare de Budapest. La décision de fermer toutes les centrales nucléaires du pays d’ici à la fin 2022 a été adoptée en réponse à la catastrophe de Fukushima de mars 2011. La fin de la conscription et la reconnaissance du mariage homosexuel ont été décidées sous la pression des sondages, avec des années de retard par rapport aux voisins. Et si elle a permis aux Allemandes de mener enfin de front vie familiale et carrière, au grand dam de l’aile la plus conservatrice de son propre parti, ou si elle a accepté d’imposer des quotas de femmes au sein des conseils de surveillance des plus grandes entreprises, elle n’a jamais semblé agir par conviction féministe. Angela Merkel, estime ses détracteurs, n’a finalement rien d’une réformatrice.

« Angela Merkel s’était présentée comme la chancelière du changement, elle aura été celle de la préservation des acquis, estime Ralph Bollmann. Je suis convaincu qu’elle ne serait pas restée au pouvoir pendant seize ans si elle avait mené de grandes réformes. Elle avait un programme ambitieux qu’elle n’a pas pu mener à bien car la gestion des crises ne lui a laissé ni le temps ni l’énergie de le faire. Mais il faut bien voir que les Allemands ne veulent pas de ces réformes qui seraient nécessaires. C’est le paradoxe d’Angela Merkel: elle a été réélue car elle a évité aux Allemands tous les changements dont ils ne voulaient pas. Elle laisse derrière elle un embouteillage de réformes. »

Entravée par les coalitions?

Le principal défi qui attend son successeur sera l’indispensable révision des retraites. L’évolution démographique, qui réduit la part des actifs, et le ralentissement de la croissance menacent, en effet, le système à très court terme. Celui de la prise en charge des personnes âgées dépendantes est, lui aussi, au bord de la faillite, sous l’effet du vieillissement de la population. Le retard pris par l’Allemagne dans la digitalisation est devenu un handicap pour la croissance du pays et les industries de pointe. Le défi climatique place le pays à la veille de décisions importantes. Angela Merkel, un temps qualifiée de « chancelière du climat », défend son bilan sur ce dossier. « Beaucoup de choses se sont passées depuis les accords de Kyoto fin 1997 », assure-t-elle, rappelant que les énergies renouvelables ne représentaient que 10% de l’approvisionnement en électricité du pays il y a seize ans, contre plus de 40% aujourd’hui, et que les émissions de CO2 ont été réduites de 20% entre 2010 et 2020.

« Elle n’a pas marqué la vie politique par de grandes réformes, rappelle Xavier Volmerange, enseignant à l’université de Rennes. Cependant, une chancelière allemande ne peut pas faire grand-chose seule. Il faut bien se rappeler qu’un chancelier ne peut pratiquement rien faire sans le Bundestag. » Ni sans son partenaire de coalition. Contrainte de gouverner pendant trois de ses quatre mandats avec l’opposition puisqu’il lui a fallu former des coalitions a priori contre nature avec le SPD, son action était d’avance restreinte au programme commun négocié jusque dans les moindres détails au lendemain des élections.

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