La comédienne Virginie Hocq (avec Adili Msangi) est la marraine de la récolte de fonds d’Iles de Paix, qui débute en janvier. © Elisa Vandekerckhove

Reportage | Comment Iles de Paix développe l’agroécologie en Tanzanie

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Alors qu’en novembre dernier, la COP27 s’ouvrait en Egypte pour discuter réchauffement climatique, la Tanzanie en vivait concrètement les effets, affrontant une importante sécheresse. L’ONG Iles de Paix y officie depuis sept ans et tente de familiariser à l’agroécologie, avec de nouvelles techniques permettant, entre autres, d’économiser l’eau.

Aussi sec que les bouteilles en plastique qui, trop souvent, le jonchent. Par endroits, le sol rouge forme de profondes crevasses. Erosion. A force d’avoir été trop exploité. Les rivières ont disparu du paysage, mettant à nu leur lit aride. Les chèvres, habituellement dirigées par des «bergers» hauts comme trois pommes, mangent ce qu’ elles trouvent: quelques vestiges d’herbe, dont le vert n’est qu’un lointain souvenir, et qui, broutée jusqu’à la racine, ne repoussera plus. Seize pour cent du territoire national est désormais considéré comme désertique. Les projections tablent sur 30 à 35% d’ici à 2050. La Tanzanie a définitivement besoin de pluie.

Elle l’attend désespérément, en ce début novembre. Elle aurait dû tomber en octobre, pour la «petite» saison humide (la grande survenant en été). Finalement, pas une goutte. Alors qu’au même moment, le monde discourait du réchauffement climatique en Egypte, 3 700 kilomètres plus au sud, la Tanzanie le subissait. Très concrètement.

Concrètement comme Michael Shayo, propriétaire d’une entreprise de transformation de maïs à proximité d’Arusha (au nord du pays, à une heure de route du Kilimandjaro), qui a vu sa production réduite quasiment de moitié faute de matière première à broyer en farine: «Habituellement, nous produisons cinquante sacs par jour. Aujourd’hui, c’était vingt. Ça a aussi un effet sur les prix, qui ont quasi doublé», témoigne-t-il.

Michael Shayo, à gauche (Elisa Vandekerckhove)

Concrètement comme Hoisa Enest Monyo, secrétaire d’une coopérative laitière gérée par neuf femmes. Durant la saison des pluies, leurs machines peuvent produire quotidiennement plus de mille litres de lait. Contre septante litres en saison sèche. «A cause de la sécheresse, la production est encore réduite de 30%, précise-t-elle. Cela affecte notre marge bénéficiaire.»

Concrètement comme Adili Msangi, agriculteur, qui, entre la ferme familiale et le jardin, a creusé un profond réservoir d’eau de pluie (une gageure dans cette terre dure comme du béton) pour que ses cultures puissent continuer d’être arrosées lors des saisons sèches. Réservoir qu’il a dû cette fois remplir d’eau potable, en faisant venir un camion-citerne. «C’est très cher.»

Le réservoir d’eau creusé à côté de la ferme d’Adili Msangi (Elisa Vandekerckhove)

Concrètement comme Florian Edito, agriculteur spécialisé dans la vente d’arbustes. «Nous avons dû diminuer la taille du jardin, par manque d’eau. L’ année passée, nous avions distribué huit cents plants. Cette année, ce sera trois cents. On perd beaucoup d’argent.» Le gouvernement lui livre de l’eau tous les trois jours, mais celle-ci est censée être réservée à l’usage humain. Par conséquent, il loue (cher) des mobylettes pour aller s’approvisionner ailleurs. Mais la sécheresse fait aussi ses affaires. Dans sa pièce de stockage, Florian Edito conserve précieusement 22 sacs en toile remplis de grains de maïs. Sa récolte. Il ne vendra que dans quelques semaines, quand les prix atteindront leur sommet, «car il n’y a pas de nourriture dans le pays». Le sac s’écoulera alors à environ 150 000 schillings, ce qui devrait lui rapporter, au total, 2,6 millions (environ 1 000 euros). Un argent qu’il utilisera pour «louer des terres supplémentaires». Car Florian Edito diversifie ses activités depuis février 2020. Date à laquelle il a intégré le programme Kilimo Endelevu (agriculture durable), développé par Iles de Paix.

Avant ça, lorsqu’il n’y avait plus d’eau, il n’y avait plus de cultures.

L’ONG belge est présente en Tanzanie depuis 2015 et, comme dans les autres contrées où elle est active (Ouganda, Pérou, Burkina Faso et Bénin ; un nouveau programme en Bolivie est prévu pour 2023), elle tente de convaincre les agriculteurs locaux de se lancer dans l’agroécologie. «La sécheresse actuelle complique un peu notre mission, reconnaît Ludovic Joly, directeur d’Iles de Paix Tanzanie. Mais c’est aussi un beau challenge et cela permet de démontrer que l’agroécologie est justement une bonne solution face au réchauffement climatique.»

Moneymaker

«Le programme a ouvert mon esprit», déclare Florian Edito. Sur de nouveaux gestes qui améliorent sa pratique quotidienne. Par exemple, ne plus déblayer les sols cultivés, mais les laisser couverts, pour conserver l’humidité et éviter l’évaporation. Ou encore planter les bananiers en creusant très profondément, pour laisser l’eau stagner. «Il existe plein de petites techniques permettant de réduire l’utilisation de l’eau, mais aussi de la conserver», indique Ludovic Joly.

Comme le réservoir d’eau de 40 000 litres qu’Adili Msangi a creusé dans sa ferme, qui doit l’aider à tenir trois ou quatre mois. «Avant ça, lorsqu’il n’y avait plus d’eau, il n’y avait plus de cultures», évoque-t-il en s’activant sur la machine «escalier» qui lui permet d’acheminer l’eau vers ses récoltes et qu’il a surnommée la… «moneymaker».

Adili Msangi (Elisa Vandekerckhove)

Iles de Paix a permis l’installation d’une septantaine de réservoirs chez des agriculteurs autour de la ville d’Arusha et envisage de développer davantage cet axe de son programme, sécheresse et réchauffement climatique obligent. Mais l’objectif n’ est pas de se mettre à creuser des bassins à tour de bras. L’ONG travaille avec un nombre limité de bénéficiaires, qui sont sélectionnés pour être des leaders au sein de leur communauté, donc susceptibles eux-mêmes de susciter le changement chez d’autres agriculteurs. «Si mon voisin me dit que telle technique a fonctionné, je vais le croire, plus qu’un gars qui vient de la ville avec ses belles théories, compare Ludovic Joly. C’est l’un des éléments de l’agroécologie: la cocréation des savoirs.»

Florian Edito a fédéré, autour de lui, un groupe de 18 autres agriculteurs, qui ont diversifié leurs productions, installé des jardins potagers, introduit l’élevage de certains animaux comme le cochon… Le changement fait tâche d’huile. Pas à pas.

Sur la route menant à sa ferme, d’insolents carrés de terre verts tranchent avec l’aridité environnante. Des productions industrielles d’oignons – bourrés de pesticides – arrosées massivement par un système d’irrigation captant dans une rivière pourtant fort éloignée. Tant pis pour les énormes déperditions d’eau sur le trajet. La sécheresse? Quelle sécheresse?

Le million

Les 13, 14 et 15 janvier, Iles de Paix organise sa traditionnelle vente de produits dans les supermarchés, étape importante de sa récolte de fonds… mise à mal ces deux dernières années par le Covid. En 2023, l’ONG hutoise, dont la campagne est soutenue cette année par la comédienne Virginie Hocq, espère atteindre le million d’euros.

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