Dirk Rochtus

Quand Merkel joue à l’équilibriste, Erdogan sourit

Dirk Rochtus Professeur d'histoire à la KuLeuven

Malgré la lourde claque pour son parti, Merkel va garder le cap qu’elle s’est fixée, explique le spécialiste de la politique allemande Dirk Rochtus. Analyse.

Un land, perdu au loin dans le nord-est de l’Allemagne. Un land qui avait pourtant tous les yeux braqués sur lui ce week-end. Il ne compte que 1.6 million d’habitants et compte, à peine, quelques réfugiés. Pourtant les élections régionales qui y prenaient place faisaient figure de test pour la chancelière Angela Merkel.

Il faut dire que ces élections étaient riches en symboles. C’est à Mecklenburg-Vorpommern, en bord de mer, que Merkel a grandi et c’est dans le district de Vorpommern-Rügen-Greifswald qu’elle obtient un mandat direct pour le Bundestag, le parlement fédéral allemand.

Cela fait aussi juste un an que la chancelière avec son ‘Wir schaffen das’ a changé le visage de l’Allemagne.

Mecklenburg-Vorpommern vit d’agriculture, de pêche, de tourisme et de quelques industries. Le chômage a baissé de moitié ces dernières années et se situe aujourd’hui aux alentours de 10%. Cela n’empêche pourtant pas la population de partir chercher ailleurs en Allemagne son bonheur. Jusqu’à présent, les extrémistes de droite et de gauche faisaient de bons scores.

Mais aujourd’hui, c’est Alternative für Deutschland (AfD) qui occupe les premiers rangs en surfant sur la crainte que suscite auprès des gens la politique plus globale de Merkel et surtout sa gestion des étrangers.

AfD a fait campagne autour du slogan ‘Damit Deutschland nicht zerstört wird’: « l’Allemagne ne sera pas détruite ». Cette formation recueille les voix contestataires et grignote de l’électorat aux autres partis tout en étant une alternative à ceux qui trouvent le parti NPD trop à droite. Ce dimanche, le AfD, avec ses 21 %, s’est hissé à la deuxième place. Soit devant le CDU qui n’a atteint que 19,2 %, une perte de 4% par rapport aux élections précédentes.

Mais malgré le véritable camouflet pour son parti, Merkel ne va pas changer de cap. Cela lui ferait perdre la face. Au mieux, elle va prudemment rectifier ici ou là. Elle a déjà commencé. Par exemple, jeudi dernier, elle a annoncé qu’il n’y aurait plus à l’avenir un accueil de réfugié aussi important qu’en 2015. De quoi envoyer un message rassurant vers les électeurs.

Pour le land de Mecklenburg-Vorpommern ce message est venu trop tard. Ce contrecoup infligé au CDU, ne signifie pas forcément la fin de Merkel. Les conversations risquent d’être animées dans les couloirs du parti, mais Merkel avait anticipé cela avec son discours rassurant de la semaine dernière.

Une main tendue vers la Turquie

Si l’afflux de réfugiés reste sous contrôle, il n’est pas impossible que Merkel brigue un quatrième mandat (les élections ont lieu en septembre 2017). Mais pour ça elle a besoin de l’aide des Turcs. S’ils le souhaitent, ils peuvent à nouveau ouvrir les vannes et les réfugiés syriens prendront à nouveau massivement la route vers l’Europe. C’est pour cela que Merkel veut à nouveau tendre la main vers la Turquie. Elle a montré sa bonne foi à travers un geste politique, pas plus tard, que la semaine dernière.

Lorsque le Bundestag adopte une résolution, début juin, reconnaissant le génocide arménien, la Turquie fulmine de rage. Elle bloque l’accès à une base militaire à quelques députés venus rendre visite à des militaires allemands basés en Turquie dans le cadre des opérations internationales contre l’EI. Merkel a fait savoir vendredi, via son porte-parole, que cette résolution en question n’était pas juridiquement contraignante. « C’est à la justice et non au parlement de déterminer ce qui est un génocide et ce qui ne l’est pas » dit encore Seibert le porte-parole. Voilà qui tombe bien, c’est surtout ce point qui contrariait les Turcs.

Le sourire d’Erdogan

Samedi soir Merkel s’est envolé vers la Chine pour assister au G20. Elle y a rencontré le président turc, Recep Tayyip Erdogan, qui l’a accueilli avec un large sourire. Dans la foulée, les députés peuvent à nouveau rendre visite aux militaires. Est-ce que Merkel s’est mis à genou devant Erdogan ?

En tout cas, cela cadre bien avec l’idée de réchauffer les relations avec Ankara. La Turquie et l’Europe vont à nouveau se parler au sommet de Bratislava. La Turquie accepte que la libération des visas pour les Turcs se fasse avec quelques semaines de retard. Ce qui postpose la crainte de voir exploser l’accord sur les réfugiés.

Et tant que l’accord tient bon, Merkel n’a pas grand-chose à craindre. Sa présence à Bad Doberan n’a peut-être pas eu l’effet escompté, mais sa réunion avec Erdogan en Chine aura permis de défroisser la situation, confortant sur le court terme sa position de chancelière.

Elle semble donc immuable, mais diffère de Poutine par le fait qu’elle est une équilibriste. Contrairement à lui, elle doit trouver le juste milieu. Car l’Europe a besoin de la Turquie sur la question des réfugiés. Poutine, lui, pouvait rester ferme. À tel point que c’est la Turquie qui a cédé. La Turquie a tout simplement besoin de la Russie.

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