Philippe Maystadt

Productivité, où es-tu ?

Philippe Maystadt Ex-président de la BEI

Jusqu’il y a peu, l’amélioration de la productivité – la production par heure de travail – était considérée comme un des principaux facteurs de croissance et donc comme une priorité de la politique économique.

Comme l’écrivait en 2010 le directeur du McKinsey Global Institute :  » It’s all about productivity  » (1). Or, on constate qu’au moment où la croissance du PNB reprend avec plus ou moins de vigueur dans plusieurs parties du monde, la productivité n’augmente plus. Ainsi, en 2015, la productivité était en Allemagne 8 % en dessous de ce qu’elle aurait été si l’amélioration s’était poursuivie au rythme de la première décennie, aux Etats-Unis 9 %, en France 14 %. Ce phénomène inattendu suscite trois axes de réflexion.

Le premier, le plus évident : comment l’expliquer ? Des économistes ont relevé diverses causes : la faiblesse de l’investissement de modernisation après la crise économique, le manque de personnel qualifié pour utiliser les équipements les plus modernes, la déliquescence de l’infrastructure économique (en particulier dans les transports), l’excès de réglementation dans certains secteurs… Selon moi, l’explication la plus convaincante tient à la combinaison entre, d’une part, l’automatisation de certains secteurs où l’emploi diminue et où la productivité augmente et, d’autre part, le glissement de l’emploi vers des activités à faible productivité et difficilement automatisables, comme les livraisons à domicile, l’accueil des jeunes enfants, l’entretien des jardins, l’assistance ménagère, les soins à domicile, etc.

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Le deuxième axe de réflexion, plus technique, porte sur la mesure elle-même : mesurons-nous correctement la productivité et, d’abord, la production ? Dans les économies avancées, la part des services dans le PNB ne cesse d’augmenter. Or, pour beaucoup de services, l’output est en fait mesuré par la valeur des inputs, ce qui peut entraîner une sous-estimation de la production. Les statisticiens sont actuellement en plein débat sur cette question.

Le troisième axe est, à mes yeux, le plus fondamental : voulons-nous vraiment la croissance de la productivité et à quel prix ? L’amélioration de la productivité reste souhaitable dans les entreprises soumises à la concurrence internationale et plus généralement dans les  » vieux  » pays où l’immigration trop faible ou trop peu qualifiée ne permet pas de compenser la diminution de la population active. Mais cela ne signifie pas que l’amélioration de la productivité doit être l’objectif prioritaire de la politique économique. Il nous faut prendre une vue plus large en nous rappelant que le but ultime est l’amélioration du bien-être des humains, ce qui ne signifie pas seulement l’augmentation de leurs revenus mais aussi la santé, la sécurité, la justice, la liberté… Dans certains cas, cette vision plus large s’opposera à l’amélioration de la productivité. Si l’on veut augmenter la productivité des aides à domicile en leur imposant de visiter un plus grand nombre de  » clients  » par jour, il est très probable que cela diminuera la qualité de vie de ceux-ci.

La stagnation de la productivité peut être due à des facteurs économiques ou résulter de l’inadéquation de nos mesures. Mais elle pourrait aussi traduire un glissement de nos priorités collectives vers d’autres dimensions du bien-être humain.

(1) Newsweek, 29 novembre 2010. Dans un livre publié en 2012 (Europe : le continent perdu ?, éd. Avant-propos), j’ai moi-même souligné l’importance d’améliorer la productivité de l’économie européenne.

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