Betsy DeVos © Reuters

Pourquoi tant de haine envers Betsy DeVos, la ministre de l’Enseignement de Trump ?

Rudi Rotthier
Rudi Rotthier Journaliste Knack.be

Betsy DeVos est une femme riche. Très riche, même. Elle semble pourtant clairement mordue par la matière qui l’occupe. Sauf que ses opposants livrent une bataille amère et sans pitié contre sa nomination en tant que ministre de l’Éducation. Le couperet devrait tomber aujourd’hui.

Dans les précédentes législatures, ce poste n’avait jamais, ou presque, fait de remous. Le budget national qui lui est attribué est relativement limité et il existe un consensus sur le sujet entre les deux partis. Sauf que rien n’est plus pareil aujourd’hui…

Lorsque Trump a désigné peu de temps après les élections Betsy DeVos (59) comme candidate au poste de ministre de l’Éducation, il a lancé un chien dans un jeu de quilles. Il est vrai que c’est un choix surprenant lorsqu’on sait que la dame a depuis toujours milité contre un enseignement public. Sauf, qu’en réalité, ce choix restait tout de même dans les clous d’une certaine orthodoxie républicaine. Des figures relativement modérées du parti comme Jeb Bush était même en train d’applaudir sur le côté lors de l’annonce de cette nomination. Car DeVos , tout comme lui, est une partisane des « charter schools », soit des écoles où les bâtiments sont financés par le public, mais qui sont exploitées par le privé, ou tout du moins par des institutions indépendantes. Ils sont tous les deux également pour les « vouchers », soit des chèques qui permettent aux parents de choisir l’enseignement de leur choix.

L’enthousiasme devant cette nomination n’était pourtant pas généralisé. Loin de là. Si tôt celle-ci annoncée, des pointures parmi les syndicats des enseignants vont tirer la sonnette d’alarme.

Leur point de vue était qu’on ne pouvait tout simplement pas nommer comme ministre de l’enseignement quelqu’un qui était contre l’enseignement public. Surtout pas lorsque celle-ci veut promouvoir les vouchers pour que les parents puissent placer leurs enfants dans le privé ou dans l’enseignement religieux. Sans parler du fait que ni elle, ni ses enfants n’avaient jamais côtoyé de près ou de loin une école publique.

S’en est suivi une large campagne d’appel téléphonique visant à influencer les sénateurs qui doivent se pencher sur la confirmation de De Vos à son poste . Un succès de foule au minimum puisque la déferlante fut telle que cela mit à mal les centraux téléphoniques des sénateurs.

Héritière de deux grosses fortunes

Betsy DeVos est milliardaire et a hérité de pas moins de deux grosses fortunes. Toutes deux d’origine hollandaise. La première lui vient de sa famille et est issue d’une entreprise de pièces détachées de voiture (la famille Prince, Prins à l’origine ). La seconde, obtenue par alliance, est encore plus grosse et est celle du géant agro-alimentaire Amway (famille DeVos).

Elle a été ces dernières années très généreuse avec les chrétiens démocrates puisqu’elle a distribué pas moins de 200 millions de dollars. Et elle ne s’en cache pas, elle a acheté son influence. Elle a aussi été un temps la présidente des républicains dans l’état du Michigan et a travaillé sans relâche à promouvoir les options « privés » dans l’enseignement ce qui n’a pas franchement aidé à remonter le niveau de l’enseignement.

La vraie marotte de la famille DeVos est pourtant l’aspect laïc de l’enseignement public. Une chose qui les dérange profondément.

The New York Times a découvert une déclaration datant de 2001 ou DeVos dit que son engagement pour la réforme de l’enseignement est une tentative de « faire avancer le royaume de Dieu. »

Or l’argent public, sous le principe de la séparation entre l’Église et de l’État, ne peut aller à des écoles religieuses. Mais à travers ses vouchers, DeVos espère fournir un tour de passe-passe pour que les parents et les enfants puissent tout de même opter pour une éducation religieuse.

Tout cela semble déjà des motifs suffisants pour réveiller la contestation. Mais c’était sans compter la prestation de madame DeVos lorsqu’elle est venue défendre sa nomination devant une commission du sénat. Elle y a promu le droit de posséder une arme à l’école sous prétexte, on ne sait jamais, qu’un grizzli viendrait à rôder. « Et que du coup, dans ce cas-là, une arme serait bien pratique (sic) ».

Elle s’est encore enfoncée d’un cran, lorsqu’elle n’a montré qu’un intérêt tout relatif aux aspects plus techniques de l’enseignement, comme pour le programme IDEA qui permet aux enfants handicapés d’avoir des horaires adaptés.

Tout cela ne l’a pas empêché la commission de voter pour cette candidature. Les 12 républicains étaient pour, les 11 démocrates étaient contre.

Son peu de connaissance technique à tout même embarrassé jusque dans ces propres rangs. Deux sénateurs républicains ont fait savoir qu’ils voteraient contre lorsque la mention de sa nomination définitive passera devant le sénat. Et deux, ce n’est pas rien puisque cela placerait les démocrates à la moitié. Pas suffisant pour voter une nomination puisqu’ils se retrouvent à ex æquo avec les démocrates. Ce serait donc au vice-président, Mike Pence, un ami proche de DeVos, de trancher. Si la cause semble entendue, puisque ce dernier a déjà annoncé que ce serait son grand honneur d’être la voix déterminante, ce n’est tout de même pas fréquent. Le dernier vice-président contraint à ce genre de manoeuvre était Dick Cheney en mars 2008.

Le vote devrait avoir lieu à 18 h, heure belge. Et aucun des deux camps n’est tout à fait sûr de son coup. Trump n’a pas encore nommé son ministre de la Justice afin que ce dernier puisse voter au sénat et les démocrates tiennent une session de 24 heures suite au vote. Histoire de pouvoir encore, peut-être, convaincre quelqu’un du camp démocrate.

La pression se fait quoiqu’il arrive sentir des deux côtés puisque les syndicats en appellent les parents à inonder les centrales téléphoniques des sénateurs. Le camp de DeVos a lui lancé une campagne médiatique basée sur le thème des mauvais perdants et de « progressistes en colère ». Si les donneurs de ses campagnes faites par des ONG sont anonymes, il n’est pas exclu que ce soit DeVos elle-même qui les finance. Plusieurs sénateurs ont par ailleurs pu profiter des largesses de la famille durant leur carrière. Ce qui pourrait frustrer ceux qui espèrent un débat honnête.

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