Combattants de Daech à Raqqa, en juin 2014. © DR

« Pourquoi ne sommes-nous qu’à la fin du début de Daech ? »

Carte blanche

Pour le chercheur sur le Moyen-Orient Sébastien Boussois, le djihadisme international a toujours su se métamorphoser. Daech pourrait se redéployer en Afghanistan et ailleurs en Asie.

Nous vivons dans une période de calme relatif en Europe après ce que nous avons traversé entre 2015 et 2017. Daech,  » la plus grande entreprise terroriste de l’histoire « , serait mort, et c’est bien ainsi. Pourtant, un rapport du Conseil de sécurité des Nations unies du 15 juillet dernier (1) dressait un état des lieux de la situation tout aussi alarmante que celle que nous développons dans notre livre Daech la suite (2), paru récemment. Parmi de nombreuses données, l’ONU a retenu qu’environ 30 000 combattants du califat ont disparu, sur l’estimation haute de 80 000 au total, et que l’organisation disposerait encore, répartis de-ci de-là, de richesses estimées entre 50 millions et 300 millions de dollars (3).

Beaucoup d’intervenants dans les médias ont cherché à minorer la menace pourtant bien présente actuellement et à se satisfaire de l’effondrement de l’Etat islamique après la chute de Raqqa en 2018. Comme si l’histoire de ces vingt dernières années avait démontré que la fin d’un mouvement terroriste lié à l’islamisme ne laissait place à l’émergence d’aucune autre structure héritière ou évolutive du mouvement passé… C’est faux. Le djihadisme international, quelle que soit sa forme initiale, a toujours su se métamorphoser et se restructurer. Le nier, c’est oublier que les mouvances djihadistes, depuis l’Afghanistan jusqu’au Sahel et dans la péninsule arabique, sont dotées d’une forte capacité de résilience idéologique.

Une tradition de redéploiement

Chaque attentat passé en France ou en Occident nous renvoie inévitablement à nous interroger sur la géopolitique mondiale de l’islamisme et sur la puissance de captation d’une idéologie matérialisée sur un territoire disparu, la terre de Cham (4), mais qui, en réalité, n’en serait devenue que plus puissante et universelle. Que ce soit par la volonté d’abattre un Etat ou d’en construire un nouveau, l’idéologie djihadiste a toujours attiré des jeunes du monde entier depuis des décennies. Elle a toujours su se redéployer sur d’autres territoires à conquérir, à déstabiliser ou qui se révélaient plus porteurs au moment où l’une des causes de djihad qu’ils défendaient commençait à s’effondrer. Les combattants d’Afghanistan  » victorieux  » de l’URSS se sont retrouvés en Algérie ou au Sahel au moment où d’autres guerres islamistes survenaient. Où seront demain les vétérans de Daech ? Sur quels combats futurs ? Ce n’est pas un hasard.

Les terrains de djihad sont plus nombreux que jamais.

Ce qui risque de se dérouler avec les combattants déçus de Daech s’est déjà passé auparavant. La question n’est donc plus seulement celle d’un danger représenté par des combattants aguerris de retour de Syrie ou d’Irak, mais bien celle d’une armée de l’ombre dont la vocation pourrait se déclencher par frustration que le projet daechiste n’ait matériellement tenu que trois ans et demi, mais également par une propagande encore quotidienne sur les réseaux sociaux et par l’idée qu’un complot, un de plus, est à l’origine de l’effondrement de leur  » rêve  » de résurrection de l’homme musulman nouveau sur une terre nouvelle. L’idéologie germe et continue son chemin, car à même terreau de prédilection et de recrutement, il n’y a, hélas, pas de raison que, sur la base d’un énième projet salvateur, d’autres jeunes ne trouvent pas en ce dernier une raison réactualisée de donner un sens à leur existence ou à leur mort. Et les terrains de djihad sont plus nombreux que jamais, avec d’extraordinaires perspectives porteuses, comme en Asie.

Sébastien Boussois.
Sébastien Boussois.© DR

Une identité de résistance mondiale

Ce qui s’est passé avec Daech est unique dans l’histoire contemporaine. Sur une armée de près de 80 000 soldats, Daech a attiré en cinq ans entre 20 000 et 30 000 combattants étrangers venus de près de 80 pays. Daech en Afghanistan a accueilli pour la première fois, à la fin 2017 après la chute de Raqqa, de jeunes djihadistes francophones, et pourrait constituer pour eux une zone de repli et de ressourcement avant de reprendre le combat de plus belle. Ils pourraient même espérer faire de l’Afghanistan, pays en guerre depuis quarante ans et où l’influence des talibans n’a jamais été aussi importante, une nouvelle Syrie. D’autres pays sont dans le collimateur : le Pakistan, les Philippines, l’Indonésie. Hélas, nous ne sommes donc probablement qu’à la fin du début de Daech 1. Cela signifie que l’idéologie de Daech a non seulement suffisamment infusé pour représenter un corpus idéologique crédible et légitime aux yeux de milliers de jeunes prêts à rejoindre ses rangs, mais qu’à l’heure d’un ultracapitalisme aussi bien marchand qu’idéologique et culturel, elle pourrait s’exporter sur d’autres terres comme une  » marque déposée « . Et cela indique aussi qu’au-delà de ceux qui ont déjà quitté leur pays d’origine, un grand nombre, excités par les sites Internet et les réseaux sociaux, pourraient être en train de se radicaliser progressivement dans une montée des tensions mondiales autour de l’islam. Ces jeunes ne seraient plus Français, Belges, Britanniques, Européens, mais brandiraient leur islamité comme identité de résistance mondiale. Rien de plus galvanisant.

Par Sébastien Boussois.

(1) www.undocs.org/fr/S/2019/570

(2) Daech la suite, par Sébastien Boussois, L’aube, 240 p.

(3) En cash, sur des comptes déguisés, ou tenus par des proches de ceux-ci.

(4) Terre du Levant.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire