Donald Trump et Kim Jong-un © Isopix

Politique étrangère : « Donald Trump joue avec le feu »

Ernesto Rodriguez Amari
Ernesto Rodriguez Amari Journaliste et Politologue

« Il est rare que Donald Trump ne soit pas en mode campagne », déclare le diplomate américain Bill Richardson. Tour d’horizon de la politique étrangère du président américain.

La nomination de Bill Richardson au prix Nobel de la paix au début de cette année n’avait rien de surprenant. Tous louent l’ancien gouverneur du Nouveau-Mexique pour ce qu’il appelle lui-même sa « diplomatie informelle ». Il est particulièrement apprécié pour son rôle de médiateur entre les États-Unis et la Corée du Nord, un pays avec lequel il entretient des liens particuliers. « J’y suis déjà allé huit fois », dit-il. « La première fois, c’était dans les années 1990, lorsque, en tant que membre du Congrès, j’ai essayé de faire revenir deux pilotes américains capturés. Par la suite, à chaque visite, j’ai tenté d’acquérir un peu plus de confiance, y compris au cours des conversations sur le désarmement nucléaire. Ce n’était pas facile, car les Nord-Coréens sont de durs négociateurs. Ils ont l’habitude de poser de grosses exigences et de recevoir beaucoup, sans avoir à faire beaucoup en retour. »

« Cela dit, la Corée du Nord a besoin des États-Unis et de l’Europe pour relancer son moteur économique – les problèmes d’infrastructure et d’énergie sont nombreux et les sanctions contre ce pays sont lourdes. Du coup, le dirigeant Kim Jong-un est moins réticent à parler de désarmement nucléaire au cours de l’année écoulée : elle peut être un levier pour attirer les investissements. »

Le président Donald Trump et lui se sont déjà rencontrés à deux reprises : en juin de l’année dernière à Singapour et à la fin février au Vietnam, où les pourparlers ont été interrompus prématurément. Comment jugez-vous le rapprochement jusqu’ici?

Richardson : Il a apporté la paix. La pression sur l’archipel coréen a diminué. Mais rien d’autre n’a changé, j’en ai peur. Prenons la déclaration d’intention signée à Singapour : travailler sur « le désarmement nucléaire complet de la péninsule coréenne », telle était l’intention. Mais la capacité nucléaire des Nord-Coréens n’a pas diminué et ils développent encore des missiles intercontinentaux.

Le sommet au Vietnam a été bon pour Trump et Kim. Le premier faisait face à une baisse de popularité dans son pays, à la fermeture partielle du gouvernement et aux tensions entourant l’enquête menée par le procureur spécial Robert Mueller sur l’ingérence russe dans les élections présidentielles de 2016. Le second voulait montrer à son peuple qu’il pouvait contrôler l’homme le plus puissant du monde. Ils avaient besoin l’un de l’autre. Mais la diplomatie, c’est bien plus qu’une poignée de main devant la presse mondiale, n’est-ce pas ? Malgré les avertissements de son personnel, Trump s’attendait à pouvoir séduire Kim, mais les Nord-Coréens ont immédiatement exigé la levée de toutes les sanctions internationales. En aucun cas, les Américains ne pouvaient accepter cela.

Enfin, notre président aime particulièrement être photographié. Pour lui, les séances de pose avec Kim semblent plus importantes que les progrès concrets.

Avez-vous bon espoir que ces progrès soient réalisés ?

Oui, à condition que les deux parties respectent certains principes diplomatiques. Tout d’abord, nous devons impliquer beaucoup plus de diplomates expérimentés dans le processus. Ces diplomates doivent d’abord élaborer un cadre opérationnel, avec un calendrier, des définitions claires des concepts clés, etc. L’absence d’un tel cadre signifie que les Nord-Coréens et les Américains ne sont tout simplement pas sur la même longueur d’onde.

J’aimerais également commencer par fixer des objectifs réalistes et modestes. Pensez à récupérer les dépouilles de soldats américains morts pendant la guerre de Corée, en échange d’argent. Cela permettrait aux soldats des deux camps d’entrer en contact l’un avec l’autre – ce qui est toujours une bonne chose. Je continuerais d’encourager les retrouvailles des familles de Corée du Nord et de Corée du Sud séparées depuis la guerre, ce qui peut contribuer à la paix entre les deux pays. Et, étape par étape, c’est ainsi que nous nous rapprocherons de l’épineuse question du désarmement nucléaire.

Quand il s’agit de paix dans l’archipel coréen, on ne peut ignorer la Chine. Comment voyez-vous la guerre commerciale que Donald Trump mène contre ce pays ?

Trump joue avec le feu. L’arrestation de Meng Wanzhou, numéro deux de Huawei, en est un exemple (elle a été arrêtée au Canada en décembre, à la demande des États-Unis ; le géant chinois de la technologie aurait violé les sanctions américaines contre l’Iran, NDLR). Si nous continuons à nous ingérer aussi fortement dans les affaires chinoises, nous risquons de perdre le soutien de la Chine aux sanctions économiques contre la Corée du Nord. Parler et travailler ensemble : c’est la seule façon d’y parvenir, y compris avec les Chinois.

Entre-temps, Trump menace à nouveau d’imposer des droits de douane sur les produits européens.

C’est un euphémisme de dire que les relations entre l’UE et les États-Unis sont compliquées, en particulier en raison des droits d’importation que Trump a instaurés sur l’acier et l’aluminium il y a un an. Ensuite, il y a la querelle avec les Européens au sujet de l’accord avec l’Iran, que Trump a unilatéralement annulé, même si, selon les organisations internationales, l’Iran respectait ses accords nucléaires. Nous abandonnons nos alliés.

Le président commet également une erreur à l’OTAN. Il met trop l’accent sur les obligations financières des États membres. Il ferait mieux de s’efforcer de coopérer davantage afin d’accroître l’efficacité de l’alliance. Après tout, c’est également très important pour la sécurité de l’Amérique, ce que Trump oublie parfois.

Un autre dossier délicat: les relations entre les États-Unis et l’Arabie saoudite. La semaine dernière, le Washington Post dénonçait que Trump n’avait toujours rien fait depuis l’assassinat de son journaliste Jamal Khashoggi au consulat saoudien d’Istanbul.

L’enquête semble montrer que le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane est le principal responsable du meurtre. Bien que l’Arabie saoudite soit stratégiquement très importante pour les États-Unis et le monde, nous ne pouvons pas laisser cela impuni. Je soutiens l’Allemagne, qui a mis fin à ses exportations d’armes vers le peuple saoudien. Je ne prétends pas que les États-Unis devraient suivre cet exemple, mais nous ne pouvons pas nous permettre de ne rien faire du tout.

En décembre, Trump a tweeté qu’il retirerait les troupes américaines de Syrie – l’une de ses promesses électorales. « L’EI a été vaincu », raisonne-t-il. Qu’avez-vous pensé?

Que c’était la plus grosse gaffe qu’il pouvait faire – une preuve de plus qu’il est rare que Trump ne soit pas en mode campagne. La démission du ministre de la Défense James Mattis en est la conséquence directe. Pour commencer, il n’y a même pas beaucoup de soldats américains en Syrie (environ 2000, NDLR). À court terme, on a besoin d’eux pour stabiliser la région. Et quand l’Amérique quittera la Syrie, il sera très difficile à long terme d’aligner la Russie, l’Iran et la Turquie.

Une autre promesse que Trump veut tenir à tout prix, c’est la construction d’un mur à la frontière avec le Mexique. En tant qu’ancien gouverneur de l’État frontalier du Nouveau-Mexique, que pensez-vous de ce plan ?

Eh bien, ce mur est du gaspillage pur et simple. Vous n’arrêterez pas l’immigration, car généralement elle se fait par le biais d’opérations de contrebande. Il faut plus de contrôles aux frontières, plus de personnel et une meilleure technologie. Le mur ne sert que les fins politiques de Trump. Malheureusement, il ne se soucie guère d’hypothéquer nos relations avec le Mexique, l’un de nos partenaires les plus importants.

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