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Partygate: Sue Gray, la shérif de Boris Johnson (portrait)

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

La gardienne des règles éthiques au sein du gouvernement britannique a sévèrement tancé le Premier ministre : accusé d’avoir autorisé ou participé à des fêtes bien arrosées à sa résidence officielle, Boris Johnson a commis « des erreurs de jugement ». « Désolé », répond-il.

Elle aime les chats, la musique country que chante Bill Conlon, son mari, et sans doute la Guinness. Sue Gray a tenu la Grande-Bretagne en haleine pendant des semaines et a rendu « nerveux » l’échevelé blond qui la dirige depuis le 10 Downing Street. C’est de cette discrète mais toute puissante haute fonctionnaire que dépendait, en effet, l’avenir politique de Boris Johnson, à qui il est reproché d’avoir autorisé ou participé à plusieurs fêtes dans sa demeure officielle, en plein confinement. A-t-il menti au Parlement en assurant, début décembre 2021, que « toutes les règles sanitaires y avaient été suivies » ? « Ces fêtes n’auraient pas dû avoir lieu, a tranché Sue Gray. Des erreurs de leadership et de jugement ont été commises. »

A une autre époque de l’histoire, on aurait aperçu, accrochés à la ceinture de celle-ci, quelques scalps d’élus peu scrupuleux. Andrew Mitchell, ministre qui avait injurié des policiers, en 2012. Il démissionnera. Pareil pour Damian Green, en 2017 : ce vice-Premier ministre de Theresa May niait avoir stocké des images pornographiques sur son ordinateur. Acculé, il quittera, lui aussi, son poste à l’issue de l’enquête de Sue Gray. Cette petite dame est inflexible, irréprochable, redoutable. « Filer droit » est sa devise. Dans le milieu politique, tous la craignent. Y compris Boris Johnson.

SUR SON u0026#xC9;VENTUEL Ru0026#xD4;LE D’AGENT DU RENSEIGNEMENT – u0022Si je devais u0026#xEA;tre une espionne, je serais vraiment mu0026#xE9;diocre !u0022 A la BBC Northern Ireland, apru0026#xE8;s avoir u0026#xE9;tu0026#xE9; interrogu0026#xE9;e sur son statut lorsqu’elle exploitait un bar en Irlande du Nord.

Fille d’immigrés irlandais, Sue Gray a commencé modestement sa carrière de fonctionnaire dès sa sortie d’école, au milieu des années 1970. Dix ans plus tard, avec son mari, elle achète et exploite un pub en Irlande du Nord. Le Cove Bar se trouve à Newry, une zone alors dominée par l’Armée républicaine irlandaise, l’IRA. Le conflit fait rage entre les catholiques et les protestants. Que diable est-elle allée faire là ?

Cette parenthèse refermée, Sue Gray réintègre, dans les années 1990, le Civil Service, un département d’appui à la politique gouvernementale, également en charge de l’administration des services publics. Elle travaille tant pour des conservateurs que des travaillistes. Entre 2012 et 2018, elle est responsable de l’éthique au sein du Bureau du cabinet du Premier ministre, et veille à ce que les règles soient scrupuleusement respectées par les ministres, leurs conseillers et les fonctionnaires. C’est « la personne la plus puissante dont vous n’avez jamais entendu parler », résumait la BBC en 2015. « Dieu par intérim », embraie The Economist, « Robespierre », entend-on parfois…

SUR LE CONTRu0026#xD4;LE QU’ELLE EXERCE – u0022Son champ d’action est vaste : une partie de son travail consiste u0026#xE0; signer les mu0026#xE9;moires, y compris ceux des politiciens u0026#xE9;lus, pour vu0026#xE9;rifier qu’ils n’ont pas ru0026#xE9;vu0026#xE9;lu0026#xE9; de choses inutiles. Des fonctionnaires de l’ensemble du gouvernement ont racontu0026#xE9; qu’elle u0026#xE9;tait intervenue sur tous les sujets, depuis leur salaire et conditions de travail jusqu’aux documents qu’ils pouvaient ou non publier.u0022

A la mi-2021, elle devient directrice adjointe de l’ensemble de l’administration publique. Quand éclate le « partygate », c’est Simon Case, son supérieur, qui est chargé d’enquêter. Mais il s’avère qu’il figurait parmi les invités du 10 Downing Street… Sue Gray prend donc le relais. Pendant un peu plus d’un mois, elle a épluché les e-mails, SMS et autres documents de nature à vérifier l’éventuelle responsabilité du Premier ministre britannique dans ces dérapages. Elle a aussi visionné les images de vidéosurveillance et interrogé des responsables politiques, gardiens de sécurité et autres fonctionnaires.

Son rapport a été remis à Boris Johnson le 31 janvier. Certains extraits en ont été retirés à la demande de la police, qui enquête sur les mêmes faits. Cette requête a suscité un tollé de protestations, l’opposition en réclamant la publication intégrale. Après en avoir lu les conclusions, Boris Johnson a assuré qu’il avait compris, qu’il s’excusait et qu’il engagerait les changements nécessaires. A priori, le spectre de la guillotine s’éloigne…

DATES CLÉS

1957 – Naissance, à Londres. Milieu des années

1970 – Intègre la fonction publique.

1980 – Exploite un bar en Irlande du Nord.

1990 – Réintègre le Civil Service.

2012 – Responsable de l’éthique au sein du Bureau du cabinet du Premier ministre.

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