Les excuses de Boris Johnson à la Chambre des Communes, le 12 janvier 2022, pour les fêtes organisées au 10 Downing Street n'ont pas convaincu. Mais a-t-il menti? © BELGA IMAGE

Partygate: l’affaire de trop pour Boris Johnson? (analyse)

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Il a incarné le Brexit. Pas sûr qu’il récolte les éventuels dividendes de son application. L’affaire des « booze parties » à Downing Street sera-t-elle l’affaire de trop pour le flamboyant Premier ministre?

Le contexte

Sauf nouvelle révélation, la saga des « booze parties », les fêtes organisées au 10 Downing Street pendant le confinement, connaîtra sa prochaine étape à la fin de la semaine avec la publication attendue du rapport commandé par le Premier ministre Boris Johnson à la haute fonctionnaire Sue Gray. Le dirigeant conservateur britannique pourra-t-il se maintenir au pouvoir? L’issue dépendra du degré d’implication de Boris Johnson dans ces réjouissances déplacées, de la connaissance qu’il en avait et de l’intérêt des députés de son camp à le voir partir. Il faut l’approbation de 54 députés sur les 650 que compte la Chambre des Communes pour pouvoir présenter une motion de confiance susceptible de faire éclater au grand jour une défiance qui coûterait son poste à Boris Johnson.

Résistera-t-il? Les derniers jours du mois de janvier seront cruciaux pour l’avenir du Premier ministre britannique Boris Johnson, empêtré dans le scandale des fêtes organisées au 10 Downing Street pendant des périodes de confinement imposées aux Britanniques par l’épidémie de coronavirus.

Le chef contesté du gouvernement espère que c’est le scénario soft qui prévaudra dans la suite de cette saga. Première séquence: le rapport d’enquête que Boris Johnson a commandé à la haute fonctionnaire Sue Gray, attendu à la fin de semaine, ne met pas en évidence de responsabilité ou d’implication particulières du Premier ministre dans ces réjouissances. Somme toute, sa présence n’est avérée qu’à une seule d’entre elles, celle du 20 mai 2020 dans les jardins de la résidence. Deuxième séquence: pour bien montrer qu’il a compris la colère suscitée dans la population par ces transgressions, Boris Johnson sacrifie quelques fusibles, notamment le directeur du personnel du 10 Downing Street, Dan Rosenfield, et son secrétaire privé, Martin Reynolds, l’homme à l’origine de l’invitation sur le mode « Apportez votre propre bouteille » aux festivités du 20 mai. Troisième séquence: apaisés ou contraints par la tournure contenue de l’affaire, les députés conservateurs de la Chambre des Communes les plus disposés à tirer un trait sur leur incontrôlable Premier ministre rentrent dans le rang et renoncent à enclencher un vote de confiance.

La décision des députés conservateurs de laisser tomber Boris Johnson sera sans doute aussi une question d’opportunité politicienne.

D’après le quotidien Le Monde, le cabinet du Premier ministre britannique aurait même imaginé quelques opérations de diversion pour renvoyer l’affaire des « booze parties » aux oubliettes de l’histoire: un assouplissement des mesures édictées pour lutter contre la Covid que permettrait une diminution des infections, le déploiement de la Royal Navy pour lutter contre l’arrivée récurrente de migrants sur les côtes britanniques depuis la France, et une suspension pour deux ans, voire la suppression, de la redevance télé annuelle réclamée aux Britanniques, au nom de la lutte contre la cherté de la vie. Ces mesures ne sont pas injustifiées en soi par le contexte sanitaire, migratoire ou social. Leur entrée en vigueur anticipée pourrait, en revanche, servir des intérêts politiques précis.

Le mensonge en plus?

Il n’est cependant pas certain que l’horizon puisse se dégager aussi favorablement pour Boris Johnson. Les excuses qu’il a formulées, le 12 janvier 2022, à la Chambre des Communes, ne clôturent pas le débat sur sa responsabilité. Sa défense consistant à faire accroire qu’il ignorait le caractère résolument récréatif de la réunion champêtre du 20 mai 2021 a soulevé un grand scepticisme. Ce 18 janvier, l’ancien conseiller spécial du Premier ministre devenu son pire ennemi du moment, Dominic Cummings, que l’on présume être à l’origine de la révélation de ces agapes, a assuré que son patron de l’époque savait pertinemment que l’invitation concernait un cocktail. Si l’ancien spin doctor peut en administrer la preuve, le rebondissement démontrerait que Boris Johnson a menti devant les députés. Un travers qui ne serait pas neuf mais qui, en l’occurrence, serait particulièrement accablant.

Avec Keir Starmer, les conservateurs britanniques doivent composer avec une opposition travailliste plus sérieuse que celle de son prédécesseur controversé, Jeremy Corbyn.
Avec Keir Starmer, les conservateurs britanniques doivent composer avec une opposition travailliste plus sérieuse que celle de son prédécesseur controversé, Jeremy Corbyn.© BELGA IMAGE

Même sans cette mise à l’épreuve, la situation du chef du gouvernement britannique n’est pas enviable. La confiance de la population en celui qui avait enfin mis en oeuvre le Brexit pour répondre à la sanction démocratique du référendum de 2016, est durablement entamée. Sa responsabilité personnelle ne serait-elle pas engagée, la succession de révélations sur ces fêtes du 10 Downing Street, au moment même où les citoyens étaient empêchés de se rencontrer à plus de deux personnes ou d’accompagner un parent dans les derniers moments de sa vie, produit un effet désastreux. On parle en effet, outre l’emblématique réception de mai 2020, de réjouissances répétées, à certaines périodes tous les vendredis, à quelques jours de Noël en 2020, et même le 16 avril 2021, à la veille des funérailles en très petit comité du prince Philip, époux de la reine Elizabeth II…

Une éviction pas évidente

La mise hors jeu d’un Premier ministre ne passe cependant pas au Royaume-Uni comme une lettre à la poste mais par l’envoi de cinquante-deux d’entre elles par des députés de son camp. La Chambre des Communes compte 650 élus et 361 sont issus du Parti conservateur. Certains ont pris publiquement position contre Boris Johnson, dont Douglas Ross, le leader du Parti conservateur écossais, ou Andrew Bridgen, un ancien proche, deputé du North West Leicestershire. Mais beaucoup préfèrent pour l’heure ne pas se dévoiler pour ne pas hypothéquer l’avenir.

Leur décision sera sans doute aussi une question d’opportunité politicienne. A plus de deux ans des élections législatives de mai 2024, il s’agira de savoir s’il est préférable, pour les conservateurs et leur avenir, de changer d’attelage et de chef suffisamment à temps pour préparer efficacement cette échéance ou de tabler sur un rebond de crédibilité de Boris Johnson, qui a démontré sa faculté de résilience. En regard des autres situations difficiles dont il a réussi à se sortir, le Premier ministre britannique fait néanmoins face à deux nouvelles donnes: la répétition des scandales qui accroît l’exaspération jusqu’à une possible saturation, et l’existence, désormais, d’une opposition crédible symbolisée par le chef du Parti travailliste, Keir Starmer, dont on a vu l’habileté à tourner en ridicule la défense de Boris Johnson.

Règlement de comptes

Le feuilleton des fêtes du 10 Downing Street qui pourrait coûter son poste à Boris Johnson se déroule sur fond de règlement de comptes entre personnages atypiques.

Dominic Cummings

Dominic Cummings
Dominic Cummings© BELGA IMAGE

Démis de ses fonctions de conseiller spécial du Premier ministre britannique en novembre 2020, il est considéré comme le principal dénonciateur des agissements des locataires du 10 Downing Street, au premier rang desquels figure son ami devenu ennemi, Boris Johnson. Dans son blog, il distille les informations sur les fêtes controversées ou aiguille les recherches des journalistes. Directeur de la campagne du Brexit emmenée par Boris Johnson en vue du référendum de 2016, il a tout naturellement été nommé dans le cabinet du Premier ministre après sa victoire aux élections législatives de 2019. Jugé arrogant par nombre de députés conservateurs, il se fait vite détester. Une infraction aux… règles du confinement est l’argument retenu par Boris Johnson pour se séparer de lui le 13 novembre 2020. Il a sans doute mal évalué la rancoeur et le pouvoir de nuisance de son ancien spin doctor.

Carrie Symonds-Johnson

Carrie Symonds-Johnson
Carrie Symonds-Johnson© BELGA IMAGE

Ancienne directrice de la communication du Parti conservateur, celle qui est devenue Madame Johnson, le 29 mai 2021, aurait joué un rôle non négligeable dans l’éviction de Dominic Cummings du 10 Downing Street. Elle se serait opposée à la promotion du directeur de la communication, Lee Cain, un proche de Cummings, au poste de secrétaire général du Premier ministre, signant de la sorte la fin du partenariat entre son mari et l’éminence grise du Brexit. Elle était présente à la seule fête du 10 Downing Street à laquelle il est avéré, à ce stade, que Boris Johnson a participé, celle du 20 mai 2020. Les convictions écologistes de Carrie Johnson, jugées élitistes « bobo », irritent un certain nombre de députés conservateurs.

Rishi Sunak

Rishi Sunak
Rishi Sunak© BELGA IMAGE

Ministre des Finances du gouvernement britannique, il est considéré, avec sa collègue des Affaires étrangères, Liz Truss, comme l’un des plus sérieux prétendants à la succession de Boris Johnson. Ce nouveau statut a été accrédité par les huit heures qu’il a fallu à Rishi Sunak pour apporter un soutien très mesuré à son Premier ministre après les excuses qu’il a formulées devant la Chambre des Communes, le 12 janvier. S’il devenait le chef du gouvernement, il serait le premier Britannique d’origine indienne à assumer cette fonction.

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