Au coeur du vignoble saumurois, le château de Montsoreau, cher à Alexandre Dumas, se reflète dans les eaux de la Loire. © P/Body/Hernis.fr

Partez à la découverte de la Loire et de ses 1000 kilomètres de vignobles

La Loire n’est pas un long fleuve tranquille et l’histoire de son vignoble non plus. Sur plus de mille kilomètres d’est en ouest, du Forez au Muscadet, les vignes occupent les rives et les coteaux dans une infinie variété de terroirs et de climats propres à produire quelques-uns des plus grands vins de France.

L'oeuvre de Rabelais au fil des vignobles ligériens (carte de 1725).
L’oeuvre de Rabelais au fil des vignobles ligériens (carte de 1725).© Bridgeman Images

Si l’on excepte le vignoble du Pays nantais planté par les Romains, la viticulture ne s’est véritablement développée en Val de Loire qu’autour du Ve siècle. A une époque où les voies terrestres restaient hasardeuses et peu sûres pour le transport des marchandises, le fleuve favorisait les échanges et le commerce entre les différents ports fluviaux – de Saint-Thibault, près de Sancerre, à Nantes, en passant par Orléans, Vouvray, Tours, Chalonnes-sur-Loire et Angers. Cette singularité ligérienne a inspiré à Roger Dion (1896-1981), titulaire durant vingt ans de la chaire de géographie historique du Collège de France, son Histoire de la vigne et du vin en France, des origines au XIXe siècle (1), l’un des ouvrages les plus lumineux jamais publiés sur le sujet. Pour l’auteur, le Val de Loire a été le laboratoire d’un travail méthodique dont les conclusions devaient bousculer bien des idées reçues, notamment celle selon laquelle la naissance et la croissance des grandes appellations viticoles ne s’expliqueraient que par la seule qualité des terroirs physiques.

Pour Roger Dion, la géographie de la vigne et du vin repose d’abord sur la volonté humaine de produire, de consommer et de commercer beaucoup plus que sur les potentialités de l’environnement. Faisant sienne la remarque d’Olivier de Serres (agronome français auteur d’un vaste traité, le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs) :  » Si vous n’êtes en lieu de vendre votre vin, que ferez-vous d’un grand vignoble ? « , Roger Dion démontre que, si la qualité des sols est primordiale, elle n’intervient qu’après la délimitation d’un marché de consommation. Et si l’environnement et la géographie jouent un rôle important, c’est d’abord par les facilités d’échanges qu’offrent les voies de communication et, notamment pour le commerce des vins, les voies navigables.

Voilà pourquoi de superbes terroirs aux potentialités évidentes sont demeurés en friche ou se sont tournés vers des productions locales peu valorisées, alors que des sites au terroir plus banal parviennent à produire, grâce au génie viti-vinicole, de très bons vins. Et c’est en étudiant l’histoire du vignoble ligérien, depuis sa naissance jusqu’au XIXe siècle, que Roger Dion est parvenu à cette conclusion :  » […] l’extension du vignoble dans le bassin de la Loire correspond à peu près à celle des cours d’eau qui étaient fréquentés par la navigation fluviale avant l’apparition des chemins de fer. […] Et elle nous reste encore aujourd’hui directement perceptible, car les chemins de fer n’ont pas eu le temps d’effacer, en l’espace de quatre-vingts ans (NDLR : l’ouvrage de Roger Dion est paru à l’origine en 1959), l’oeuvre de plus de quinze siècles.  »

Le vignoble angevin connaît un véritable essor lorsque Henri II Plantagenêt, comte d’Anjou, devient roi d’Angleterre, en 1154. Ce dernier fait dès lors servir les vins de son fief à la cour, habitude que conserveront ses successeurs Jean sans Terre et Henri III. Ainsi, pendant près d’un millénaire, Capétiens, Plantagenêt et Valois vont contribuer à la réputation des vins du Val de Loire.

Dans les caves de la maison Ackerman, à Saumur. Au fil des sept kilomètres de galeries creusées dans le tuffeau, des millions de bouteilles s'affinent.
Dans les caves de la maison Ackerman, à Saumur. Au fil des sept kilomètres de galeries creusées dans le tuffeau, des millions de bouteilles s’affinent.© ACKERMAN

Très vite, à la fin du Moyen Age, la bourgeoisie conduit l’extension des vignes autour d’Angers, de Saumur et d’Orléans, après l’abolition du droit de banvin qui accordait aux seigneurs l’exclusivité du commerce des vins. Comme à Bordeaux, sous Aliénor d’Aquitaine et Jean sans Terre, le dynamisme des négociants entraîne un rapide développement des vignobles bourgeois autour des villes facilitant l’exportation de la production viticole. Les expéditions de barriques depuis le port de Nantes vers la Flandre et les cités de l’Europe du Nord battent alors leur plein : jusqu’à 10 000 tonneaux y transitent au XVIe siècle, soit plus que n’en envoient les ports de La Rochelle et de Bordeaux réunis.

En 1532, la décision de François Ier d’autoriser les Etats de Bretagne à maintenir une douane à leur frontière d’Ingrandes (l’Anjou étant rattachée au royaume de France depuis le XIIIe siècle, mais pas la Bretagne) va stimuler la production de vins de qualité en amont, seuls capables de supporter la taxe pour être exportés. Et la demande du négoce hollandais de vins adaptés aux goûts de sa clientèle va provoquer l’essor de la viticulture d’Anjou, de la vallée du Layon, du Saumurois et de Vouvray.

Depuis François Rabelais, grand amateur de vin de Chinon mentionné sous le nom de  » breton  » (nom donné localement au cabernet franc), le chemin de fer et les transports routiers ont pris le pas sur la lenteur des gabarres, et les centres de décision et de consommation ont bougé, même si les capitales européennes ont conservé, voire renforcé leur pouvoir d’attraction. Si le vignoble d’Ile-de-France, victime de l’urbanisation et de sa piquette, a depuis longtemps disparu, les vins de Loire ont conservé leur débouché naturel vers la capitale. Simultanément, alors que les grands terroirs comme Sancerre ont vu leur notoriété confirmée, de talentueux vignerons ont fait émerger des vignobles de  » petite  » réputation comme le muscadet, le menetou-salon, le pouilly-fumé, les coteaux-du-giennois, la côte-roannaise, les côtes-du-forez…

Dans le sillage des frères Foucault, qui ont porté au pinacle l’appellation saumur-champigny avec le Clos Rougeard, des hommes de l’art ont considérablement modifié la façon de travailler le vignoble. A leurs côtés s’est levée toute une jeune génération qui, très au fait de sa responsabilité environnementale, pousse un peu plus loin l’approche de la culture bio et la biodynamie.

Cinq grandes aires de production bordent le fleuve-terroir

Grand amateur de vin de Chinon, François Rabelais l'immortalisa dans Gargantua et Pantagruel.
Grand amateur de vin de Chinon, François Rabelais l’immortalisa dans Gargantua et Pantagruel.© AKG-IMAGES/SPUTNIK

Aujourd’hui, le Val de Loire est la troisième plus grande région viticole française avec plus de 75 000 hectares. Inscrit au patrimoine mondial par l’Unesco pour la partie qui court de Sully à Chalonnes-sur-Loire, il compte parmi les plus beaux paysages dessinés par la nature et façonnés par l’homme avec de nombreux témoignages de son riche passé historique. Fort de ses 73 appellations, le vignoble ligérien trouve son unité dans le cours du fleuve qui en reste la colonne vertébrale et auquel il doit historiquement son succès commercial. Dans ce vaste ensemble, on distingue cinq grandes régions : les vignobles auvergnats, la Touraine, l’Anjou-Saumur et le vignoble nantais.

La cour d'un négociant de Saumur, en 1900.
La cour d’un négociant de Saumur, en 1900.© LUX-IN-FINE/LEEMAGE

Ces grandes aires se distinguent par la géologie de leur sol et par leur encépagement. A l’extrême ouest dominent des sols à texture sableuse ou limoneuse et un sous-sol de roches métamorphiques. C’est le royaume des vins blancs secs et du muscadet. L’Anjou et le Saumurois reposent, eux, sur deux formations géologiques bien différentes : celle issue du Massif armoricain correspond à l’Anjou ; l’autre, rattaché au Bassin parisien, au vignoble saumurois, qui est le prolongement naturel de la Touraine, où domine la craie, appelée ici tuffeau. Le chenin y règne. Ce noble cépage blanc confère aux vins un grand potentiel de garde. Plus minéral quand il vient de Savennières, plus fruité et floral sur Vouvray et Montlouis, où il est décliné en vin sec, moelleux et en version effervescente, le chenin, quand il est atteint de pourriture noble (botrytis), donne aussi d’immenses liquoreux sur les coteaux du Layon (bonnezeaux, quarts-de-chaume) et de l’Aubance.

Dans le Centre-Loire, les sols sont majoritairement argilo-calcaires. Le Sancerrois forme le vignoble le plus accidenté, des sols de terres blanches, de caillottes, de griottes et de chailloux. Le climat y est propice à la maturation du sauvignon (et du pinot noir pour les rouges) qui trouve dans les vins de Sancerre et de Pouilly-sur-Loire (pouilly-fumé) ses plus belles expressions. Menetou-Salon, Quincy et le Giennois se rattachent à cet ensemble.

Enfin, les appellations d’Auvergne (saint-pourçain, côtes-d’auvergne, côte-roannaise et côtes-du-forez), en pleine renaissance, alternent sols volcaniques, de granite et argilo-calcaires. Les rouges sont de gamay et de pinot noir, les blancs marqués par des cépages indigènes, comme le saint-pourçain, le vin préféré d’Henri IV, avec le sacy et le saint-pierre doré.

 » L’homme, écrit Roger Dion, aime le vin comme l’ami qu’il a choisi ; par préférence, non par obligation. Aussi l’histoire du vin est-elle, jusque dans ses expressions géographiques, plus fortement marquée d’arbitraire humain que ne le sont celle du blé ou celle du riz.  » Au regard de l’histoire, produire du vin de qualité n’a longtemps été possible que sur les terres de riches propriétaires. Aujourd’hui, les jeunes vignerons passionnés rendent en partie obsolètes les analyses de l’historien. Si les moyens techniques employés pour un simple cru de Touraine ou un muscadet sont sans commune mesure avec ceux d’un cru classé du Médoc ou d’un chambolle-musigny, produire un vin de qualité n’est plus l’apanage des nantis. Une chance pour le vignoble ligérien qui a vu au cours de ces dernières décennies renaître de modestes appellations qui font le bonheur des consommateurs.

Si l’ensemble des appellations du Val de Loire peuvent revendiquer avec fierté le patrimoine historique et culturel de la région, elles affichent aujourd’hui une diversité qui en fait l’un des vignobles les plus vivants et dynamiques de l’Hexagone.

(1) CNRS Editions

Par Gérard Muteaud

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