En Roumanie, urgence et long terme au menu de l’Otan : « un incident de frontières (…) pourrait dégénérer »

Le Vif

Il y a l’impact à 30 ans sur la géopolitique et les risques immédiats inhérents à l’invasion russe de l’Ukraine. En Roumanie, les forces de l’Otan, dont la France est la nation-cadre, jonglent entre l’urgence et le long terme.

Américains, Polonais, Italiens, Belges, Néerlandais bientôt, quelques officiers bulgares, une compagnie mécanisée polonaise et 500 Français dépêchés d’urgence fin février travaillent ensemble sur le sol roumain. Soit en tout quelque 3.000 soldats de l’Alliance atlantique, qui partagent cette double perspective de l’immédiateté et du temps long.

« Les responsables russes peuvent décider de renverser la table en prenant des initiatives qui nous entraîneraient dans une spirale guerrière. Un incident de frontières (…) pourrait dégénérer », relève le chef d’état-major de l’armée de terre française, le général Pierre Schill, en visite pour 24 heures en Roumanie. Mais « l’hypothèse la plus probable est (…) un conflit gelé à l’est de l’Ukraine. L’ours russe qui a attaqué ira panser ses plaies, reconstruire son armée et il faudra des années pour cela ». Et d’ajouter : « vous êtes en train de construire un dispositif qui durera des années ».

Les hommes du 126e régiment d’infanterie et du 27e bataillon de chasseurs alpins n’ont pourtant eu que trois jours pour arriver à Mihail Kogălniceanu, à quelques kilomètres des rives de la mer Noire, fin février.

– Unités homogènes –

A leur descente d’avion sous la neige, ils ne savaient pas grand-chose de leur mission lorsqu’ils ont dressé les tentes blanches dans lesquelles ils se sont installés. Aujourd’hui, certains d’entre eux préparent le camp en dur pour leurs successeurs. Sur un terrain vague de 71.000 mètres carrés parfaitement aplani par les machines s’élèveront des bâtiments, à côté d’un dépôt de munitions et d’un aéroport militaire. Il faut bâtir pour la durée mais dans l’urgence. Une fois le matériel nécessaire livré, « bien énervé, je peux commencer à loger du monde en un mois », assure le capitaine Eric, ingénieur et maître d’œuvre.

En attendant, Français, Roumains et Belges – qui alterneront avec des Néerlandais – partagent leur vision de la situation et leurs méthodes de travail. Les Belges affichent cent pour cent de matériel disponible et font des jaloux. Plus de 80% de leurs effectifs ont moins de 35 ans. « C’est le premier déploiement pour eux » souligne – en anglais – un officier belge.

Ce mélange des nationalités a toutefois ses limites. Les chefs se parlent et se comprennent mais, sur le terrain, il faut faire simple. « Les unités homogènes, autonomes, sont celles qui gagnent. C’est le retour d’expérience qu’on a de l’Ukraine », explique le colonel Vincent Minguet, le commandant du 27e BCA en France et de la Force opérationnelle interarmées (VJTF) en Roumanie. A priori, la France en a pris les rênes pour quatre ou cinq ans. « Avec les Hollandais, ça va être un peu plus compliqué. Il va falloir parler anglais. On pourra difficilement mixer les sections », admet-il.

– « Imprévisibilité russe » –

Avec, toujours, le besoin de voir loin et près à la fois. « On classe les menaces en dangereuses/moins dangereuses, probables/moins probables », explique le colonel. « Généralement, on se prépare au plus probable et au plus dangereux. Mais il ne faut pas que nos objectifs fassent oublier la menace actuelle ». Peu à peu, une culture commune se créé. Celle des procédures de l’Otan, du pays hôte, du conflit de l’autre côté de la mer Noire. « En trois mois, on a fait ce qu’on n’aurait peut-être jamais fait » en termes de déploiement si la Russie n’avait pas envahi l’Ukraine, estime un officier français.

Les Roumains, de leur côté, apportent une proximité géographique avec le théâtre ukrainien et un héritage de l’ère soviétique. A Cincu, un camp d’entraînement planté au pied des Carpates, un général roumain explique sous le couvert de l’anonymat être entré à l’Ecole militaire en 1987, deux ans avant la chute du Mur de Berlin. « On sait comment se servir du matériel de type soviétique », explique-t-il à l’AFP. « Les vieux comprennent un peu ce qu’ils ont dans la tête. On est habitué à l’imprévisibilité russe ». Et il insiste pour que l’Alliance atlantique conserve son positionnement défensif. « Nous devons être sûrs de ne tourner personne contre l’Otan » en devenant plus agressifs, comme le souhaiteraient par exemple certains officiers polonais.

En sortant d’un bref entretien privé avec le général Schill, son homologue roumain Iulian Bardila loue l’énergie des jeunes officiers envoyés par ses partenaires de l’Otan. « Dans 20 ou 30 ans, la région sera évidemment différente de ce qu’elle est aujourd’hui », dit-il à l’AFP. Cet avenir-là se prépare aujourd’hui. « Les soldats, quand ils s’entraînent ensemble et deviennent interopérables, sont invincibles ».

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