Confrontation entre un sympathisant de Trump et un manifestant anti-Trump © Reuters

Notre correspondant au meeting annulé de Trump: « Vous venez d’Europe ? J’ai pitié de vous »

Rudi Rotthier
Rudi Rotthier Journaliste Knack.be

C’était une si mauvaise idée que certains y voyaient de la provocation. Le meeting Trump organisé à l’occasion des primaires à Chicago et dans l’Illinois était planifié dans le Pavilion, la plus grande salle de l’Université de l’Illinois, un institut composé d’un public très divers.

Immédiatement après l’annonce de la location de la salle par le candidat républicain controversé Donald Trump, les étudiants et les leaders de la communauté hispanophone de la ville ont décidé de manifester. Ils ont appelé les manifestants à commander des tickets gratuits pour le meeting afin d’infiltrer les sympathisants de Trump. Ils ne venaient pas uniquement de Chicago et de la région, mais aussi de l’Indiana, situé à plusieurs heures de bus de Chicago.

Un arc-en-ciel contre Trump
Un arc-en-ciel contre Trump © RR

On ignore combien de personnes se sont présentées. La salle dispose d’une capacité, selon les sources, de 8 500 à 10 000 visiteurs. Il y avait une majorité de blancs, mais aux normes des réunions de Trump, le public était plutôt mélangé : il y avait des Asiatiques, des musulmans, des noirs et des hispanophones.

« Tout le monde est raciste »

Je me suis rendu à ce meeting dans l’espoir d’en apprendre un peu plus sur les partisans de Trump. La plupart des gens sont arrivés des heures à l’avance, partant du principe que la procédure de sécurité prendrait beaucoup plus de temps.

Ed Landmichl
Ed Landmichl© RR

Ed Landmichl, un employé de 32 ans d’une usine de pneus, n’a pas l’intention de passer inaperçu. Habillé de rouge, blanc, et bleu, les couleurs nationales, il explique qu’il a voté pour Ron Paul, un choix libertaire, lors des primaires républicaines précédentes. Mais à présent il se retrouve en Trump. Pourquoi ?

« On dit que nous sommes en colère et peu qualifiés. Je suis certainement en colère, je paie des impôts, et je n’ai pas l’impression que cet argent est utilisé à bon escient, mais je ne suis pas peu qualifié ». Deux choses l’attirent en Trump : il est fort et il a de la personnalité, c’est « un caractère ».

« Il n’est pas libertaire, c’est vrai, il est protectionniste. Mais dans mon secteur la concurrence est féroce. Il y a quarante employés dans mon entreprise. Quand nous rechapons des pneus, sur le plan écologique c’est mieux que de les jeter, ils sont plus chers que de nouveaux pneus chinois. En principe, je suis pour le libre-échange, mais nous ne pouvons pas lutter contre la Chine. J’ai beaucoup de collègues mexicains. Ils travaillent aux pneus, je m’occupe de la vente. Ces Mexicains ne votent pas pour Trump, mais la grande majorité des autres le font parce qu’ils ont foi en Trump. Nous croyons qu’il refera des États-Unis, comme le dit son slogan, un grand pays. Cela peut sembler bébête, mais on n’a rien à perdre. De toute façon, les autres politiques ne changeront rien à la situation ».

Landmichel est passé devant les manifestants, il a aussi entendu les reproches de racisme. « Je ne veux même pas parler de la comparaison avec Hitler. Ces gens ont-ils toute leur raison? Mais du racisme? Je ne sais pas que les autres en pensent, mais à mes yeux, tout le monde est raciste ».

Il sort un vieux dollar de sa poche et le laisse tomber. « Vous pouvez promettre à ce dollar que le monde est transformable, et que la chute est une construction de gens ignorants. Mais si je laisse tomber la pièce, elle tombe. À mes yeux, il en va de même pour le racisme. S’il n’y avait pas de noirs, on se méfierait de gens aux yeux bleus, ou de chauves ou, mieux encore, de gros, et on se demanderait s’il ne faut pas les imposer davantage que les autres. Et s’il n’y avait pas de blancs, le racisme viendrait de ceux qui ont une couleur plus claire, contre les très foncés. Notre cerveau assure une distinction dans la méfiance, et ceux qui le nient, se leurrent. Mais je ne trouve pas que Trump dépasse les limites. Je trouve qu’Hillary Clinton est plus raciste que Trump. Comment gagne-t-elle ? En flattant la communauté noire. Sans son avance auprès de la communauté noire, c’est Bernie Sanders qui gagnerait les primaires démocrates. Je trouve qu’on est différent, qu’on a du mal à la gérer, mais en fin de compte, il y a suffisamment de choses qui nous lient et nous sommes logés à la même enseigne. Les Mexicains ont des enfants et une famille et doivent gagner de l’argent. Trump est le seul candidat qui raconte la même chose dans toutes les salles, et qui ne change pas son discours, comme Hillary, en fonction de la communauté ciblée.

Lydia a écouté la conversation. « J’ai 50 ans et je vais voter pour la première fois », dit-elle. Elle était plus ou moins républicaine, mais républicaine de gauche, « ouverte d’esprit, ouverte à de nouvelles expériences. Mon dernier petit ami était musulman ». Elle a écrit un doctorat sur les romantiques anglais, Keats, etc. « Cela me fait toujours rire. On dit que les adeptes de Trump n’ont pas étudié. J’ai un double doctorat ». Ces doctorats ne l’ont pas aidée à trouver un emploi, elle a surtout travaillé comme infirmière.

Lydia, la spécialiste en littérature anglaise
Lydia, la spécialiste en littérature anglaise © RR

« Je suis de gauche, certainement pour les normes américaines. Mais je tremble quand je pense à la sécurité. À San Bernardino des Américains ont été tués par un musulman qu’ils considéraient comme un ami. Que faire ? Comment apaiser cette méfiance ? »

Ah, l’Europe

Vera, qui possède une boutique et une société d’import en produits de luxe, de la porcelaine notamment, est une ancienne du parti républicain, une exception parmi les gens que j’ai rencontrés. La dernière fois, elle a voté Mitt Romney et elle a dépensé beaucoup d’argent à la campagne. « Il faut le dire, quel soulagement que Trump ne me demande rien. Quelle liberté cela lui donne de vraiment changer les choses ».

Elle admet qu’elle a hésité: elle a d’abord soutenu Rand Paul et Ben Carson, et si Trump n’obtient pas la nomination, elle voterait pour Ted Cruz. « Mais je me retrouve de plus en plus en Trump. Je voyage souvent en Europe pour mon entreprise. Vous venez d’Europe ? J’adore ce continent, mais j’ai pitié de vous. Je vais régulièrement en France, à Limoges, et tous les deux ans, j’emmène ma famille. En 2014, nous étions à Paris, et j’ai dit, c’est la dernière fois. »

Qu’est-ce qui a changé en 2014?

« Je pensais que la France voulait être laïque, et j’ai toujours apprécié cette position, mais partout où on allait en 2014, on voyait de la religion, de la religion musulmane. Je trouvais ça oppressant. Je n’avais plus l’impression d’être en sécurité. Quand il y a eu les attentats à Charlie Hebdo et en novembre au Bataclan, j’ai trouvé ça très grave, mais je n’étais pas vraiment étonnée. Il est clair que la politique des frontières ouvertes est problématique. Et c’est justement ce que souhaitent les démocrates américains. Quand quelque chose ne lui plaît pas, Barack Obama déclare que cela ne correspond pas aux valeurs du pays. Il trouve qu’exclure les musulmans n’est pas américain. Mais de quelles valeurs parle-t-il ? Pas des miennes. Je trouve que ce qu’il dit n’est pas américain. Je n’aurais pas dit ça il y a cinq ans, mais je ne veux pas finir comme l’Europe ».

À ce moment-là, on annonce que Trump ne vient pas.

Vera est déçue. « À mon avis, si Hillary Clinton l’emporte, ce pays cessera d’exister. C’est à ce point-là, et c’est pourquoi les prochaines élections sont aussi importantes. Ce pays deviendra un collectif de groupes d’intérêt et on ne pourra plus rien dire contre eux. Si Trump ne gagne pas, c’en sera fini de ce pays. Manifestement, la partie adverse est convaincue que nous menaçons la survie de ce pays. Mais nous au moins, nous n’empêchons personne de parler ».

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