Philippe Lamberts

‘Non, Donald Trump n’est pas un président sorti de nulle part’

Philippe Lamberts Co-Président du Groupe des Verts/ALE au Parlement européen

Suite à l’annonce des résultats des présidentielles américaines, le quotidien français Libération titrait: « Trump, un président sorti de nulle part ». Vraiment ? L’histoire nous rappelle au contraire sans cesse que les séismes politiques ne doivent rien au hasard. Qu’ils sont généralement l’aboutissement d’une fin de cycle politique et économique. Pour le meilleur ou, malheureusement trop souvent, pour le pire.

C’est à cet aune qu’il faut analyser l’avènement du 45e président des États-Unis. Car la victoire de Donald Trump est à mes yeux d’abord la conséquence directe du virage néolibéral pris par le parti démocrate américain au début des années 1990…sous l’impulsion d’un certain Bill Clinton. Avec ses homologues britannique Tony Blair et allemand Gerhard Schröder, il a personnifié la « troisième voie » : ce courant de pensée politique censée transcender la dichotomie gauche/droite, en apportant des solutions favorables à tous les échelons de la société. En réalité, la « troisième voie » s’est résumée par l’accompagnement de la mondialisation néolibérale, dont seules ont bénéficié, dans nos sociétés, les infimes franges les plus riches.

Sous sa présidence, Bill Clinton a en effet intensifié les politiques de libéralisation des échanges et de dérégulation financière. C’est d’ailleurs à son initiative que la fameuse loi Glass-Steagall – qui interdisait à toute banque de dépôt de posséder une banque d’affaires – fut abrogée. Cette politique d’accommodement – conjuguée au creusement des inégalités qui en a résulté – a progressivement détourné l’électorat populaire du parti démocrate américain.

L’arrivée au pouvoir de Barack Obama en janvier 2009 avait pourtant soulevé un vent d’espoir, porté par le slogan : « Yes we can ! ». Force est de constater qu’il aura au final lui aussi échoué : peu aidé il est vrai par les blocages incessants d’un Congrès aux mains des républicains, il a souvent dû se contenter de gouverner « par le style », à défaut de pouvoir réellement résorber les inégalités criantes qui minent aujourd’hui la démocratie américaine.

Mais ce qui aura certainement scellé le divorce entre le parti démocrate et une partie de l’électorat populaire américain est la désignation d’Hillary Clinton comme candidate à l’élection présidentielle. Arrivée certes en tête d’un processus interne démocratique (les fameuses « primaires démocrates »), elle a fortement bénéficié du soutien sans faille de l’establishment du parti pour obtenir ce succès. Face à elle, pourtant, le candidat Bernie Sanders proposait un projet de rupture bien plus susceptible de reconquérir l’électorat populaire.

Non content d’incarner la continuité avec le système politique en place, Hillary Clinton symbolise également ses dérives les plus malsaines. Comment croire en effet qu’une femme politique ayant enchaîné les discours – facturées parfois 300.000 $ pièce – auprès de banques impliquées dans la plus grande crise financière depuis 1929 puisse susciter l’adhésion auprès d’une classe moyenne de plus en plus fragilisée et la mobilisation des classes les plus précarisées du pays ? Comment celles et ceux qui avaient été enthousiasmés par Sanders pouvaient-ils croire à la sincérité des inflexions de son discours sur la régulation financière ou contre les traités de libre-échange, elle qui avait défendu la guerre en Irak et défendu le traité trans-pacifique?

Clinton incarnait à merveille un establishment, perçu comme uniquement préoccupé de ses propres avantages au moment même où le candidat républicain auquel elle faisait face se présentait comme le pourfendeur de ce même establishment; pour Trump, elle était l’adversaire idéale.

Inutile de dire que l’avènement au pouvoir de Donald Trump est une catastrophe pour les États-Unis et l’ensemble du monde. Avec lui, les luttes contre le changement climatique, les violences faites aux femmes, les discriminations raciales, les inégalités sociales et fiscales, prendront sérieusement du plomb dans l’aile. Et s’il joue l’apaisement avec Moscou, ce ne sera que pour mieux forger le front des hommes blancs contre le reste du monde, en particulier musulman. Certes, on peut imaginer qu’arrivé au pouvoir et devant collaborer avec un Congrès dominé par un parti républicain qu’il a foulé aux pieds pendant la campagne, Trump devra mettre de l’eau dans son vin. Mais qui peut croire que ses saillies misogynes, racistes, ordurières, son obsession du complot n’auront été que des artifices de campagne? Le parcours de l’homme, qui se vante de ses capacités à éluder l’impôt ou à faire tomber n’importe quelle femme dans ses bras nous montre bien que la campagne n’a fait qu’illustrer Donald Trump tel qu’en lui-même. Les dégâts causés par sa campagne sont d’ores et déjà bien ancrés: normalisation du discours raciste, misogynie, escalade de la violence…

Il est désormais trop tard pour se lamenter. La victoire de M. Trump est surtout un rappel à la réalité pour toutes les forces politiques qui se disent encore aujourd’hui « progressistes », c’est à dire en quête d’une société plus juste, plus durable et plus démocratique : il est temps d’écouter la colère qui gronde et de proposer une alternative crédible et radicale au projet néolibéral. À défaut, la « trumpisation » de la politique risque bien d’emporter tout sur son passage et de contaminer les prochaines échéances électorales en Europe.

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