L’opération Nanook menée dans le Grand Nord canadien jusqu’au 29 août rassemble les marines du Canada, des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de la France et du Danemark. © AFP

Nanook : l’opération militaire de l’Otan en Arctique pour s’armer contre la Russie

Ludovic Hirtzmann Journaliste correspondant au Canada

Les navires de plusieurs marines de l’Alliance atlantique mènent des opérations militaires dans le Grand Nord canadien jusqu’à la fin du mois, alors que la Russie a annoncé un renforcement de ses capacités en Arctique.

C’était il y a cent ans, à l’été 1922. Nanook of the North (Nanouk l’esquimau, en français), documentaire muet de l’explorateur américain Robert Flaherty, remportait un immense succès en faisant découvrir au monde la vie des Inuits. Aujourd’hui, Nanook (l’ours polaire en inuktitut, la langue des Inuits) est une opération militaire dans le Grand Nord canadien. Ottawa a invité la marine danoise, française, britannique et américaine à se joindre à sa flotte pour mener, jusqu’au 29 août, des exercices au Nunavut.

Le commandant Guillaume Côté, de la frégate Harry DeWolf, a déclaré à Radio-Canada que «le groupe naval contournera Terre-Neuve, remontera vers le nord, fera le plein de carburant à Nuuk, au Groenland, puis apprendra à opérer dans les glaces». Et le militaire de préciser: «Le but premier de Nanook est de voir les choses et d’être vu. De montrer que nous, le Canada, nous patrouillons dans notre arrière-cour arctique, pour assurer la souveraineté de notre territoire.» Nanook existe depuis 2007 et intègre des éléments de l’Otan depuis quelques années. Des plongeurs belges y ont participé, en 2020, mais ces exercices des marines alliées prennent tout leur sens cette année dans le contexte de la guerre en Ukraine.

Au cours des 43 dernières années, l’Arctique s’est réchauffé près de quatre fois plus vite que le globe.» Les conséquences géostratégiques seront majeures.

Au-delà de l’opération militaire, Nanook est aussi l’occasion pour le Canada de redorer son blason auprès de ses alliés, anglo-saxons notamment. L’ armée canadienne n’ a pas été jugée assez fiable par les Britanniques, les Américains et les Australiens pour intégrer le pacte indopacifique Aukus, en 2021. Pire, le 19 août, le navire amiral de la marine canadienne dans l’opération Nanook, le Harry DeWolf, est tombé en panne et a été obligé de repartir vers son port d’attache, Halifax. Ottawa considère pourtant sienne cette partie de l’Arctique, qu’il a même rebaptisée, il y a une décennie, «l’Arctique canadien».

Augmentation du trafic maritime

La fonte des glaces pourrait changer la donne militaire en Arctique. Selon une étude norvégienne publiée le 11 août sur le site Communications Earth & Environment, «le réchauffement de l’Arctique a été beaucoup plus rapide que dans le reste du monde, un phénomène connu sous le nom d’ “amplification arctique”. Au cours des 43 dernières années, l’Arctique s’est réchauffé près de quatre fois plus vite que le globe.» Au-delà des conséquences écologiques, ce réchauffement climatique accéléré aura des conséquences géostratégiques majeures.

Le passage du Nord-Ouest et les eaux du Grand Nord pourraient être libres de glaces plusieurs mois par an bien avant les années 2050, comme plusieurs experts canadiens le pensaient. Le Grand Nord représente un enjeu majeur pour les alliés. Outre la défense du passage du Nord-Ouest, cette région est riche en ressources naturelles. L’Arctique abriterait 15% des ressources pétrolières non découvertes et 30% des réserves de gaz, des chiffres très variables selon les sources, auxquelles il faut ajouter les ressources minières et halieutiques.

Ambitions russes et chinoises

La principale conséquence de la fonte des glaces sera une augmentation du trafic maritime, militaire notamment. Dans les eaux polaires, le Canada fait face à des incursions russes et chinoises croissantes auxquelles il n’a guère les moyens de s’opposer. Vladimir Poutine a annoncé, fin juillet, le renforcement de la flotte russe dans l’Arctique. Pour cela, les Russes ont une longueur d’avance avec cinq brise-glaces nucléaires. Le Canada n’en possède aucun.

L’objet de toutes les peurs canadiennes est aussi un petit livre blanc publié par la Chine en 2018 et intitulé La Politique arctique de la Chine. Le gouvernement chinois positionne son pays comme «une importante partie prenante dans les affaires arctiques» mais aussi, non sans raccourcis géographiques, «comme un Etat presque arctique, l’un des Etats continentaux les plus proches de l’Arctique».

Depuis le début des années 2000, Pékin a accentué sa présence dans le Grand Nord, notamment par des expéditions scientifiques. Pour asseoir leurs insatiables besoins en ressources naturelles, les Chinois ont acheté des mines canadiennes au Nunavut, dont les matières premières pourraient, dans le futur, transiter par cette route de la soie polaire. L’empire du Milieu est même entré au conseil de l’Arctique après avoir prêté beaucoup d’argent à l’Islande, en banqueroute après la crise financière de 2008. Si Ottawa s’inquiète des ambitions chinoises et russes, le Canada diverge aussi avec ses alliés danois et américains sur leurs revendications territoriales dans la région.

L’importance des alliances

La militarisation du Grand Nord prend forme: en 2020, la marine canadienne a pris livraison de son premier navire de guerre arctique de nouvelle génération, capable d’opérer dans des glaces de 120 centimètres d’épaisseur. Cinq autres doivent suivre. Outre l’annonce récente de l’achat de F35 américains pour remplacer dans quelques années ses vieux chasseurs CF18, Ottawa devrait investir 4,9 milliards de dollars au cours des six prochaines années pour moderniser ses capacités de surveillance de l’Arctique, une surveillance actuellement assurée par des stations radars vieilles de plus de 50 ans.

«Le Canada aurait de la difficulté à contrer seul une invasion d’une grande force militaire. Une partie de la stratégie est de faire partie d’alliances, entre autres celle avec les Etats-Unis et aussi l’Otan», nous confie le colonel Pierre Leblanc, ancien commandant des forces canadiennes du Grand Nord pendant cinq ans.

Lucide, la ministre de la Défense du Canada, Anita Anand, a déclaré en juillet: «Les capacités intégrées de nos adversaires potentiels, combinées aux effets des changements climatiques, signifient que le Canada ne peut pas compter uniquement sur sa géographie pour (se) protéger.» L’expérience montre cependant qu’Ottawa, au-delà d’opérations de communication, investit peu dans sa défense. Au point que les cinq mille Rangers inuits chargés de défendre l’Arctique étaient encore équipés il y a peu de carabines Lee-Enfield datant d’avant la Première Guerre mondiale.

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