Marc Finaud, professeur au Centre de politique de sécurité, à Genève © DR

Marc Finaud: « La Russie entretient une ambiguïté sur l’arme nucléaire »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

En brandissant la menace nucléaire, Vladimir Poutine veut marquer des lignes rouges pour dissuader d’intervenir, estime Marc Finaud, professeur associé au Centre de politique de sécurité à Genève. Mais il y a toujours un risque de dérapage.

Brandir la menace du recours à l’arme nucléaire, est-ce inédit de la part d’un Etat membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU?

La dissuasion nucléaire a toujours été faite d’un mélange de propos inquiétants et de propos rassurants. Il n’y a pas si longtemps, Donald Trump menaçait la Corée du Nord « du feu et de la furie ». C’était tout à fait explicite.

Agitée par Vladimir Poutine dans le cadre actuel, la menace participe-t-elle d’une stratégie d’intimidation?

Oui, c’est une façon de marquer des lignes rouges pour dissuader les pays de l’Otan d’intervenir dans le conflit. L’Otan a exclu une intervention directe et même une zone d’exclusion aérienne. Mais les pays membres de l’ Alliance envoient de l’aide militaire. La Russie fixe le seuil à ne pas dépasser.

La doctrine militaire russe diffère-t-elle de celle des Occidentaux, l’arme nucléaire étant considérée comme une arme d’emploi et pas de non emploi?

La Russie a toujours maintenu une forme d’ambiguïté. La doctrine officielle établit quatre hypothèses dans lesquelles elle pourrait utiliser les armes nucléaires. Si on s’en tient aux propos de Vladimir Poutine, on est totalement hors de ces scénarios. Il invoque les déclarations agressives des pays de l’Otan. Elles ne sont absolument pas une condition pour brandir la menace nucléaire. On assiste donc à une théâtralisation et à une dramatisation qui risquent à la fois de susciter de l’inquiétude et de mettre en doute la crédibilité de cette menace. Mais il est clair que l’on est toujours à la merci d’un dérapage ou d’une mauvais interprétation. C’est bien la raison pour laquelle la Russie et les Etats-Unis avaient décidé d’éliminer les missiles de portée intermédiaire dans le Traité sur les forces nucléaires (FNI), en 1987, parce qu’ils pouvaient être porteurs de charges conventionnelles ou de charges nucléaires. Sur une méprise, le risque existait de riposter par du nucléaire à une attaque conventionnelle. Les deux parties avaient préféré éliminer ces armes.

Des armes nucléaires au Bélarus? C’est un message envoyé aux Etats-Unis qui en ont déployé dans cinq pays de l’Otan, dont la Belgique. »

Marc Finaud, professeur au Centre de politique de sécurité, à Genève.

Le recours à une arme nucléaire sur le champ de bataille ukrainien aurait-il une utilité?

Non. Utiliser des armes nucléaires dans un conflit conventionnel n’a aucun sens. La Russie a les moyens conventionnels suffisants pour détruire la totalité des infrastructures militaires et civiles ukrainiennes. Utiliser l’arme nucléaire entraînerait une escalade du conflit et serait jugé mondialement inacceptable, y compris par la Chine.

La Russie peut se prévaloir d'une suprématie sur les Occidentaux en matière d'armement nucléaire, si pas en
La Russie peut se prévaloir d’une suprématie sur les Occidentaux en matière d’armement nucléaire, si pas en « qualité » du moins en quantité.© BELGA IMAGE

En matière d’armement nucléaire, la Russie a-t-elle une suprématie sur les Occidentaux?

Tout dépend de ce que l’on compare. En nombre d’ogives, oui, elle a une petite supériorité par rapport aux Etats-Unis. A l’intérieur de son stock, environ 6 000 armes, il y en a à peu près 1 550 qui sont régies par le Traité New Start (NDLR: accord de réduction des armes stratégiques nucléaires conclu en 2010 pour dix ans, reconduit pour cinq ans jusqu’en 2026), et qui peuvent être inspectées régulièrement. Mais toutes les autres ne sont couvertes par aucun traité et ne sont soumises à aucune contrainte. Une partie d’entre elles sont considérées comme déployées en alerte élevée et pouvant être utilisées dans les dix minutes. Les autres sont soit non déployées, soit non stratégiques. Leur préparation nécessiterait un peu de temps, ce qui laisserait un délai pour réagir ou négocier. Et puis, il y en a encore une partie qui sont théoriquement non opérationnelles, mais qui pourraient le redevenir en cas de besoin. Cela étant, il y a des différences qualitatives avec l’arsenal des pays occidentaux. Celui de la Russie est assez ancien.

Le Bélarus a modifié sa Constitution pour pouvoir abriter des armes nucléaires. Quelle signification a cette décision?

C’est un message envoyé à l’Otan parce que l’on sait que les Etats-Unis ont déployé depuis longtemps des armes américaines dans cinq pays de l’ Alliance, dont la Belgique. La Russie a toujours affirmé que si l’objectif était de ne plus utiliser ces armes, il fallait les rapatrier sur son territoire. Elle a suspendu l’ouverture de négociations sur ces armes à cette décision. Par conséquent, il n’y a jamais eu de négociations.

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