Les affrontements entre policiers et ouvriers de la société Foxconn à Zhengzhou avaient avant tout une motivation sociale. © isopix

Manifestations en Chine : «Le régime est coincé. Laisser filer le virus aurait un coût politique énorme »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Il ne peut pas se permettre d’avoir des centaines de morts par jour. Et il ne peut pas renoncer à sa politique zéro Covid tant vantée comme supérieure, d’autant qu’elle remplit les objectifs fixés, analyse le chercheur Antoine Bondaz.

Chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique à Paris et spécialiste de la Chine, Antoine Bondaz analyse les tenants et les aboutissants de la politique zéro Covid des dirigeants de Pékin. Et pourquoi elle n’est pas près d’être modifiée.

La politique sanitaire de la Chine pourrait-elle changer en fonction des mouvements de protestation?

La stratégie zéro Covid de la Chine est cohérente avec les objectifs politiques et sanitaires du Parti communiste. On l’aime ou pas, c’est autre chose. Quels sont les objectifs sanitaires? La population chinoise la plus vulnérable, notamment les personnes âgées, est mal vaccinée. Le nombre de personnes qui ont reçu une troisième dose de vaccin est faible, celui des personnes qui en ont reçu une quatrième est quasiment nul. Dans son immense majorité, la population n’a jamais été confrontée au virus. Aucune forme d’immunité ou de préimmunité collective n’est atteinte, contrairement à ce qui prévaut en Europe. En outre, seul un tiers de la population serait sous le coup de mesures sanitaires strictes. On n’est pas face à un confinement comme celui que les Français ont connu au printemps 2020. La Chine procède à des confinements localisés depuis le début de la pandémie. Surtout, le système hospitalier chinois ne peut pas faire face à une flambée massive de contaminations comme celles que l’on a connues chez nous. Et, enfin, l’acceptabilité sociale des morts est extrêmement faible en Chine. Il y a eu officiellement 5 000 décès depuis le début de la pandémie. Les autorités chinoises ne peuvent pas se permettre d’avoir des centaines de morts par jour. Actuellement, des centaines de personnes meurent tous les jours du Covid en Europe et plus personne n’en parle. En Chine, pareil bilan ne serait pas toléré. D’un point de vue sanitaire, les dirigeants ne peuvent simplement pas laisser filer le virus et ne pas prendre des mesures.

L’acceptabilité sociale des morts de la pandémie est extrêmement faible en Chine.

La dimension politique est-elle également différente?

En mars 2020, le Parti communiste chinois a annoncé qu’il avait vaincu le virus et qu’il se distinguait des régimes démocratiques libéraux parce qu’il était plus efficace, dans la lutte contre les contaminations. Depuis deux ans et demi, le régime ne cesse de marteler que le système chinois est supérieur à celui des gouvernements américain et européen parce que lui, il protège la population. Aujourd’hui, il est coincé. Il ne peut pas se permettre de lever les restrictions et de prendre le risque de voir survenir des centaines ou des milliers de morts par jour. Le coût politique d’un changement de stratégie serait énorme. Même si un mécontentement légitime se fait jour au sein de la population, le parti sait que le coût politique de confinements localisés est moindre que le coût politique qui découlerait du fait de laisser filer le virus.

Le taux de vaccination contre le Covid de la population chinoise est faible par rapport à celui de nombreux autres pays.
Le taux de vaccination contre le Covid de la population chinoise est faible par rapport à celui de nombreux autres pays. © getty images

En vertu des objectifs du Parti communiste chinois, la politique zéro Covid n’est donc pas un échec?

Non. Si c’était considéré comme un échec, le secrétaire du PCC à Shanghai, Li Qiang, qui a géré la gestion sanitaire dans cette ville au printemps, ne serait jamais devenu numéro 2 du parti à la faveur du XXe Congrès en octobre. Néanmoins, les dirigeants sont dans une séquence compliquée parce qu’il n’y a pas d’inversion des courbes de contamination. Elles continuent de monter. Il est donc normal qu’un mécontentement naisse au sein de la population. Quand vous êtes confiné, vous n’avez aucune idée du moment où les mesures seront levées. L’espoir des autorités est que le pic épidémique soit atteint le plus rapidement possible et que les courbes de contamination s’inversent. A partir de ce moment-là, il leur sera beaucoup plus facile de convaincre la population.

L’impact économique du prolongement de la crise est-il important?

Il est relativement limité pour l’instant. D’abord, la croissance chinoise ne s’est pas effondrée, et son ralentissement est aussi structurel. On peut s’étonner que la Chine n’ait pas un taux de croissance de 8%. Mais en toute hypothèse, elle ne peut pas être à un tel niveau. Si elle atteint 4 ou 5%, le résultat est déjà énorme. Cependant, un effet est perceptible dans certaines économies locales, avant tout dans le secteur des services parce que des restaurants, des cinémas, des lieux de loisirs sont contraints de fermer. L’impact est limité et gérable. Au-delà de ce constat, il faut rappeler que les usines chinoises n’ont pas arrêté de fonctionner.

Au plan économique, une levée des restrictions ne se justifient donc pas davantage?

Si les autorités opèrent une levée des restrictions, le virus se propagera, les hôpitaux seront saturés, les morts seront plus nombreux. Bref, il y aura in fine un confinement, et le coût politique sera énorme. L’idée avancée par certains, en Europe, de dire qu’il suffit de lever les restrictions et que tout ira bien relève du n’importe quoi. En Chine, le pouvoir doit faire un arbitrage entre l’économie, le bilan humain et les enjeux politiques. Il n’y a que des Européens pour croire que le seul déterminant pour la décision à Pékin est l’économie. Bien souvent, il est le dernier à peser. Le facteur politique est beaucoup plus important.

La politique zéro Covid est-elle également justifiée par la moindre efficacité du vaccin chinois?

C’est avant tout une question de couverture vaccinale. Le problème n’est pas que le vaccin chinois soit un peu moins efficace. Il est que les gens sont moins vaccinés. La Chine n’a pas connu de politique de vaccination obligatoire, appliquée de fait en Europe même si elle n’était nommée ainsi. Jusqu’à aujourd’hui, la majorité de la population n’a pas encore été confrontée au virus. Trente mille cas de contamination par jour sur une population d’1,4 milliard d’habitants, ce n’est rien. En France, on a eu des pics de 150 000 cas par jour. Si on rapportait ce chiffre à la population chinoise, il y aurait trois millions de cas quotidiens. Ce serait cent fois ce que la Chine connaît aujourd’hui. Le problème de la vaccination se pose si vous avez une circulation très rapide du virus. Ce n’est pas encore le cas aujourd’hui en Chine. La circulation du virus y est importante selon les standards chinois. Elle est ridiculement faible selon les standards européens.

Le problème n’est pas que le vaccin chinois soit un peu moins efficace. Il est que les gens sont moins vaccinés.» Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique à Paris.

A ce stade, le PCC et le leadership de Xi Jinping ne sont donc pas menacés?

Non. On est à des années lumière de cela. Il n’empêche qu’un problème se pose aux dirigeants chinois: comment arriveront-ils à normaliser la situation comme les Européens l’ont fait avec un coût humain et économique important? On ne voit pas, pour l’instant, comment ils se sortiront de cette stratégie. En tout cas, il n’y aucun signe dans la presse d’Etat et les déclarations officielles chinoises d’un changement de la politique zéro Covid. Il ne suffit pas pour l’affirmer de tirer une phrase de son contexte et de faire du «wishful thinking» en fonction de ce que nous, Européens, nous aimerions. La situation sanitaire et politique est différente en Chine de ce qu’elle a été en Europe. La question est: à un moment accepteront-ils de vivre avec le virus, ce qu’ils refusent jusqu’à présent? Les dirigeants ne peuvent pas seriner pendant presque trois ans que personne ne mourra en Chine parce que «nous, on vous protège alors qu’aux Etats-Unis et en Europe, on laisse mourir les gens», et du jour au lendemain, dire à ces mêmes citoyens que certains mourront mais que ce n’est pas si grave. Si demain, on assiste à un effondrement économique, un vaste mécontentement social et une fragilisation politique, peut-être les dirigeants feront-ils autrement. Pour l’instant, ils n’ont pas de raison de changer de politique.

Pour Xi Jinping, difficile de revoir sa politique sanitaire après en avoir vanté la supériorité.
Pour Xi Jinping, difficile de revoir sa politique sanitaire après en avoir vanté la supériorité. © belga image

Révolte sociale à l’usine des iPhone

Les vidéos d’affrontements, le 23 novembre, entre policiers en combinaison blanche et ouvriers de l’usine Foxconn de Zhengzhou, ville de l’est de la Chine peuplée de plus de cinq millions d’habitants, ont donné le sentiment, avant les réactions à l’incendie mortel d’Urumqi, que la contestation de la politique zéro Covid du gouvernement était entrée dans une nouvelle phase. Pourtant, c’est la dimension sociale et non sanitaire qui domine dans ce conflit. A la source des protestations des travailleurs, figure une promesse trahie. L’usine est à la mesure de l’atelier du monde que constitue la Chine industrielle. Deux cent mille personnes y sont employées pour assembler des smartphones, dont actuellement les iPhone 14 d’Apple. Leur production est assurée à 80% sur ce site. Autant dire que si le mouvement social perdurait, les commandes de fin d’année dans le monde seraient sérieusement perturbées. Autre particularité, Foxconn est une société… taïwanaise qui dispose de plusieurs usines en République populaire de Chine. Et c’est sa gestion d’une prime promise à certains ouvriers nouvellement recrutés qui est à l’origine du mouvement de colère. Son montant de 3 000 yuans (quelque 400 euros) avait été divisé par dix… Foxconn a eu beau présenter ses excuses «pour une erreur de saisie dans le système informatique», le mal était fait: la colère, exacerbée par les restrictions sanitaires au sein même de l’usine, se transformait en violences. Vingt mille ouvriers auraient aussi décidé de quitter l’entreprise.

Antoine Bondaz
Antoine Bondaz © dr

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