Réfugié politique et père du kamikaze de Manchester, Ramadan Abedi a le profil d'un "infiltré". © H. AMARA/REUTERS

Manchester et la filière libyenne

Christian Makarian

Le père du kamikaze de la Manchester Arena, réfugié un temps en Grande-Bretagne, a un lourd passé de militant islamiste. Négligé par les services occidentaux ?

L’enquête relative au terrible attentat de Manchester (22 morts) qui a permis l’arrestation de 14 personnes, révèle certains aspects très dérangeants de relations entre le Royaume-Uni et la Libye. Selon Roumiana Ougartchinska, journaliste et documentariste(1), qui se rend régulièrement en Libye et qui y dispose de contacts bien informés, il existe un entrelacs d’ambiguïtés et de nombreuses failles dans l’appréhension du terrorisme en provenance de ce pays. Ramadan Abedi, le père du djihadiste à l’origine du carnage de Manchester, Salman Abedi, présente en effet toutes les caractéristiques de l’élément infiltré. Membre du Groupe islamique combattant en Libye (GICL), qui avait participé au côté d’Al-Qaeda à la guerre d’Afghanistan, Ramadan Abedi a suivi l’itinéraire de cette dangereuse mouvance, laquelle a réorienté ses activités, à partir du milieu des années 1990, pour cibler directement Kadhafi. Pourchassés de ce fait par le régime de Tripoli, plusieurs de ces islamistes, dont Ramadan Abedi, ont trouvé asile au Royaume-Uni en se faisant passer pour des réfugiés politiques et se sont installés à Manchester.

Dans la période de transition post- Kadhafi, précise Roumiana Ougartchinska, profitant du grand désordre, Ramadan Abedi a pu rentrer en Libye, en 2012, et obtenir un emploi officiel au ministère de l’Intérieur, à Tripoli. Il ne fut pas le seul : avant d’être tué au Pakistan par un drone américain, en juin 2012, un dangereux terroriste, le Libyen Abou Yahya al-Libi, n° 2 d’Al-Qaeda, a profité de la même confusion pour reconstituer un réseau islamiste issu du GICL, qui persisterait au sein du gouvernement d’union nationale, promu par l’ONU depuis 2015 dans le cadre des accords de Skhirat. Selon Roumiana Ougartchinska, l’émir du GICL, fondateur d’un parti destiné à masquer l’entrée des islamistes dans la nébuleuse gouvernementale, aurait même été reçu au ministère français des Affaires étrangères, en 2014 ; le GICL figure pourtant sur la liste des organisations terroristes. Le cas de Ramadan Abedi soulève-t-il l’existence d’une toile, tissée à Tripoli, à laquelle les services occidentaux n’ont pas suffisamment accordé d’intérêt ? Sur sa page Facebook, ouverte sous un faux nom, conclut Roumiana Ougartchinska, Ramadan Abedi incitait ses fils à mener le djihad en Libye.

(1) Coauteur de Pour la peau de Kadhafi. Guerre, secrets, mensonges : l’autre histoire (Fayard, 2013) ainsi que du documentaire La Poudrière libyenne, diffusé sur M6 en novembre 2016 et rediffusé depuis.

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