Ewald Engelen

« L’UE a scandaleusement abandonné le citoyen »

Ewald Engelen Professeur en géographie financière à l'Université d'Amsterdam

Il y a dix ans, le 9 août 2007, débutait la crise bancaire. Never let a good crisis go to waste, disait Winston Churchill. Ewald Engelen, géographe financier à l’Université d’Amsterdam et chroniqueur pour l’hebdomadaire De Groene Amsterdammer n’est guère tendre envers l’approche de l’Union européenne.

Il y a dix ans, la mégabanque française BNP gelait les retraits de trois fonds d’investissement parce qu’ils avaient subi trop de pertes sur le marché de produits dérivés de prêts immobiliers américains. C’était un des signaux les plus forts de l’éclatement de la bulle de dettes mondiale.

Pourtant, la plupart des experts ont fait comme si de rien n’était. Sept mois plus tard, le président de la Réserve fédérale de l’époque Ben Bernanke et l’ancien président de la BCE Jean-Claude Trichet se montraient toujours rassurants. Les risques étaient échelonnés, le management professionnel, les marchés parfaits et les banques centrales avaient tout sous contrôle. « Dormez sur vos deux oreilles », disaient-ils. Et les banquiers s’excusaient lâchement en disant qu’il faut continuer à danser tant que la musique joue. Dix ans plus tard, nous ne savons toujours pas si c’était de la stupidité ou de la ruse.

Succession de bévues

Quand la banque d’affaires américaine a sombré le 15 septembre 2008, il s’est avéré que Bernanke et Trichet étaient complètement à côté de la plaque : le risque était concentré auprès d’un petit nombre de mégabanques, le management était digne d’amateurs, les marchés étaient hystériques et les banquiers centraux ne se doutaient tout simplement de rien.

La période qui a suivi a été une succession de bévues et d’impairs, notamment en Europe. Les banques avaient tant de pouvoir politique qu’elles ont été recapitalisées trop lentement et trop timidement. Et quand, en 2010, la Grèce s’est retrouvée dans une situation difficile parce que les banques européennes ne voulaient plus emprunter d’argent, l’élite européenne s’est mise à paniquer. Elle a fait comme si tous les états membres étaient la Grèce, et a exigé de tous les états membres qu’ils arrêtent immédiatement leurs stimulations et qu’ils mettent de l’ordre dans leurs budgets. Seule la Belgique a échappé la danse. Elle a eu la chance de battre le record mondial de formation d’un gouvernement.

La conséquence prévisible a été une récession profonde qui a inutilement frappé les citoyens et les PME. Le chômage s’est envolé, le nombre de faillites a atteint un nombre record, les États-providence européens ont été démolis et soumis à l’austérité. Les conséquences pour le bien-être des populations européennes ont été désastreuses : davantage de suicides, d’alcoolisme, de séparations, d’expulsions, etc.

Dix ans plus tard, pas grand-chose n’a changé et la crise n’est toujours pas terminée. La zone euro progresse, mais c’est toujours une croissance poussée par la dette. Les banques ne sont pas devenues plus petites, mais plus grandes. Leur pouvoir politique n’a fait que grandir. Elles participent toujours à la législation. Leurs réserves ont à peine augmenté et les bonus ont été remis au même niveau qu’avant la crise. Les dettes privées sont à un niveau plus élevé qu’avant la crise. Les dettes d’état aussi. Les cours d’actions et les prix de l’immobilier s’envolent.

Accro à la dette

Tout cela est dû à l’élargissement quantitatif et à la politique de taux bas de la Banque centrale européenne. Tous les mois, la banque pompe nonante milliards d’euros dans le système financier européen. La griserie que cela donne aux économies européennes couvre les investissements modestes en entreprises, la faible productivité de travail, les dépenses faibles de consommation et le chômage élevé. La seule chose qui progresse, ce sont les valeurs marchandes d’actifs existants : les maisons et les actions. Dans un univers plus juste, cela ne s’appelle pas la croissance, mais l’inflation. Nous sommes toujours accros à la dette. Difficile d’imaginer une meilleure illustration du fait que la crise est loin d’être terminée.

Pour l’establishment européen, peu importe. L’Union européenne fête l’anniversaire de la crise comme une victoire. Sur son site, elle se vante que le redressement est dû à l’intervention dynamique de l’Union. L’énumération de tout ce qu’elle a fait se lit comme le message d’un asile de fous :

« L’UE a adopté des mesures pour réglementer le secteur financier et améliorer la gouvernance économique; pour renforcer les nouveaux cadres juridiques et institutionnels communs; pour mettre en place un pare-feu financier destiné à la zone euro; pour soutenir les pays en difficulté financière; pour améliorer les finances publiques des États membres; pour poursuivre les réformes structurelles et encourager les investissements; pour lutter contre le chômage des jeunes; pour améliorer le contrôle du secteur bancaire; pour accroître la capacité des institutions financières à faire face aux difficultés futures; et pour créer des moyens de gérer et de mieux prévenir d’éventuelles crises. »

Pour moi, la régulation financière n’est toujours nulle part et la croissance est endommagée, le pare-feu est une pièce de décor; les états membres souffrent toujours de problèmes financiers ; l’équilibre budgétaire est l’autel sur lequel on a sacrifié des tribus entières ; il n’y a pas eu de réformes et aucun investissement ; le contrôle bancaire ne représente rien ; le chômage des jeunes a fortement augmenté ; et avec un bilan de la BCE de 3500 milliards d’euros, la zone euro est tout sauf solide.

L’Union européenne a scandaleusement abandonné ses citoyens

À nouveau, nous ignorons si ces déclarations sont motivées par la stupidité ou la ruse. Je suis en tout cas convaincu que les futurs historiens aboutiront au jugement contraire. La crise n’était pas l’apogée, mais le niveau le plus bas pour l’Union européenne. Elle a échoué sur tous les fronts et a scandaleusement abandonné ses citoyens.

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