Gérald Papy

L’Irak résistera-t-il à la stratégie du chaos de Moqtada Al-Sadr? (opinion)

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Y a-t-il encore un Etat irakien? Depuis qu’il a été débarrassé de la dictature de Saddam Hussein en 2003, le pays connaît une descente aux enfers presque continue. La dernière manifestation de cette dégradation est l’œuvre d’une des figures les plus marquantes de la scène politique irakienne, Moqtada al-Sadr, fils du vénéré ayatollah Mohammad Sadeq al-Sadr, assassiné par le régime baathiste il y a 23 ans.

Le dirigeant est sorti vainqueur des élections législatives du 10 octobre 2021 et, par la même occasion, de la confrontation au sommet qui l’opposait à l’autre personnalité de la galaxie chiite, dominante en Irak, l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki (2006-2014).

Dans les démocraties installées, il n’est pas rare que le parti vainqueur d’une élection parlementaire ne soit pas celui qui sera chargé, in fine, de former le gouvernement. Si le spectre politique est éclaté, c’est l’alliance dominante qui ouvre le chemin vers le pouvoir plutôt que la formation première en sièges au Parlement. La sentence peut paraître injuste aux supporters du parti arrivé en tête. Elle est en général acceptée parce que la démocratie est somme toute respectée. Dans les démocraties installées…

Moqtada al-Sadr tire un feu d’artifice dans la poudrière irakienne alors que les relations entre chiites n’ont jamais été aussi tendues.

En Irak, le contexte d’imposition d’un «modèle» occidental, de fragilité du système pluraliste, de militarisation des forces politiques et de défiance envers l’Etat en raison de la gangrène de la corruption change la donne et entraîne, pour la même situation, des conséquences considérablement différentes. On l’aura compris. Malgré sa victoire dans les urnes, Moqtada al-Sadr a été dans l’incapacité de former un gouvernement avec des partenaires. La mission est donc revenue à son principal ennemi, Nouri al-Maliki.

Et au moment où, fort d’une coalition majoritaire, celui-ci a été sur le point de proposer un candidat à la direction du gouvernement, c’est la très grosse artillerie que Moqtada al-Sadr a engagée sur le théâtre politique. En juin, il a d’abord ordonné le retrait de tous les députés de son parti (73 élus sur 329) du Parlement. En juillet, il a exhorté ses fidèles à marcher sur le bâtiment de l’assemblée, dont ils font le siège depuis lors.

Et puis, en cette fin août, l’annonce de son «retrait» de la vie politique a provoqué une telle colère – spontanée ou plus vraisemblablement orchestrée – de ses partisans que des affrontements au cœur de la zone verte sécurisée de Bagdad avec l’armée et les unités de mobilisation populaires, pro-iraniennes, qui lui sont associées, ont fait au moins 23 morts.

Le doute prévalait en milieu de semaine sur la sincérité de l’annonce du leader chiite. La complexité et la duplicité du personnage l’expliquent. Moqtada al-Sadr en a appelé cet été à une «révolution» et à un «changement radical du système et de la Constitution».

Un discours qui trouve un écho certain auprès des populations chiites défavorisées de Bagdad et du sud de l’Irak qui désespèrent du système politique en place, champion du clientélisme. Sauf qu’ils oublient que Moqtada al-Sadr est un élément central de ce système, associé à tous les gouvernements depuis 2003, acteur majeur des élections, capable même de noyauter à son profit la contestation antipouvoir de la société civile en octobre 2019…

En optant pour la stratégie du chaos, Moqtada al-Sadr tire un feu d’artifice dans la poudrière irakienne alors que les relations entre chiites n’ont jamais été aussi tendues, au grand dam du «parrain iranien» qui ne s’attendait pas à pareil fiasco. Puissent les Irakiens s’en souvenir.

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