Franklin Dehousse

L’insoutenable vide de la diplomatie de l’Union européenne (carte blanche)

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

Beaucoup stigmatisent le voyage de Josep Borrell, « ministre européen des Affaires étrangères », à Moscou. il illustre le très mauvais théâtre de la politique étrangère de l’Europe. L’humiliation publique constitue un fort processus éducatif: vivement Borrell à Pékin!

Beaucoup stigmatisent le voyage de Josep Borrell, « ministre européen des Affaires étrangères », à Moscou. Ils ont bien tort. Ce spectacle ridicule a un grand mérite: il illustre le très mauvais théâtre de la politique étrangère de l’Europe.

Première faute: les nominations européennes. Borrell est un gestionnaire médiocre, mais un grand particrate. Il a donc effectué une brillante carrière, en dépit de plusieurs casseroles éthiques (soupçons de fraude fiscale de deux anciens collaborateurs au ministère des Finances, sanction du régulateur financier espagnol, démission à l’Institut européen de Florence…). En 2019, le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez, dont il avait permis le retour au pouvoir, lui a pourtant renvoyé l’ascenseur en le bombardant vice-président de la Commission, sans nullement se soucier de l’intérêt de l’institution ou de ses partis frères.

Deuxième faute: la gestion. Malgré les protestations, il n’est pas en soi inconvenant de visiter des dictatures. Harry Truman envoyait bien des émissaires à Staline, qui avait pourtant massacré des millions de Soviétiques (sans parler des nombreux étrangers). En revanche, il faut prendre de fortes précautions et avoir une stratégie de négociation. Borrell l’a oublié. Comme la plupart des dirigeants actuels, sa priorité consiste à se montrer, non à réaliser quelque chose. Chacun savait en réalité que ce voyage ne produirait rien – au mieux.

Troisième faute: la performance. Hélas pour lui, les Russes aussi ont un agenda médiatique. Ils l’ont mis en oeuvre avec bien plus d’intelligence, et humilié Borrell à répétition. Il n’a même pas répliqué, ce qui l’a transformé en puissant symbole de l’impuissance européenne. D’où le malaise accru. Le théâtre, soudain, ne masquait plus la réalité.

Toutefois, de nombreux critiques ont aussi commis des fautes. Les grands Etats membres, hormis la Pologne, ont favorisé le déplacement de Borrell, sans position sérieuse. Les gouvernements restent en général dépourvus de vision stratégique, peu soucieux de s’entendre, et incapables de réformer une politique déficiente, alors que l’Europe devient sans cesse plus faible dans le monde. A titre d’illustration, les Allemands veulent vendre leurs voitures, les Français recherchent des accommodements avec les oligarchies en place, les Italiens du gaz, etc. Notons aussi leur grand silence sur les violations répétées du droit international par la Russie (c’est plus facile de faire des sermons à la Serbie ou au Royaume-Uni). Quant aux parlementaires qui l’attaquent, où sont leurs actions concrètes?

Fondamentalement, qui veut être fort à l’extérieur doit d’abord l’être à l’intérieur. Qu’aurait été l’ Alliance atlantique en 1949 sans le dollar, le plan Marshall, les bases américaines en Europe et les transferts techno-logiques américains? Or, l’Union européenne multiplie les sous-performances: une croissance économique à nouveau plus mauvaise que les autres, une monnaie arthritique dans le monde, un retard technologique accentué, et une absence de coordination endémique dans la défense.

Pour conclure, quand la classe politique européenne attaque le voyage de Borrell à Moscou, elle attaque le miroir qui lui renvoie l’image de sa profonde insignifiance. L’humiliation publique constituant un fort processus éducatif, il faut conclure par un espoir: après Borrell à Moscou, vivement Borrell à Pékin!

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