Claude Demelenne

Lettre à un ami de gauche qui ne choisit pas entre Le Pen et Macron (carte blanche)

Claude Demelenne essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche

Des Français de gauche refusent de choisir entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Si le président sortant et la candidate d’extrême droite s’affrontent au second tour du scrutin présidentiel, ils iront  » à la pêche « . C’est une pure folie.

Cher ami, l’autre jour, tu m’as confié que tu fais partie de ces citoyens désabusés : tu t’abstiendras en cas de duel, en 2022, entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Je t’écris cette lettre pour tenter de te convaincre que tu as tort.

Des exclus de plus en plus exclus

Tu es de gauche et je connais tes griefs à l’encontre d’Emmanuel Macron. J’en partage une grande partie. Le principal porte sur la question sociale. Emmanuel Macron y est largement insensible. La lutte contre les inégalités est tout sauf sa priorité. Adepte de la « théorie du ruissellement », il est convaincu qu’il faut remplir le coffre-fort des riches, dont le contenu finira par déborder dans le porte-monnaie des chômeurs, des travailleurs pauvres, des précaires, des classes moyennes. Dans la réalité, cela ne se passe malheureusement pas ainsi. Joe Biden qui est tout sauf un dangereux communiste, le reconnaît, lui aussi. Les exclus de la modernité sont de plus en plus exclus. Les riches sont de plus en plus riches. Ce grand écart, Emmanuel Macron l’assume puisqu’il tirera, il n’en doute pas, l’ensemble de la société vers le haut.

Social-libéralisme inefficace

Autre grief : le président Macron a parfois utilisé la manière forte pour contrer les mouvements sociaux qui ont chahuté son quinquennat. Je pense notamment aux Gilets jaunes qui, malgré certains dérapages, méritaient mieux qu’une réponse essentiellement sécuritaire. Ou aux syndicalistes qui n’ont pas été entendus lorsqu’ils s’opposaient à la réforme du Code du travail, comparée par certains, à gauche, comme un « coup d’Etat social ».

Emmanuel Macron a appliqué les recettes d’un social-libéralisme de moins en moins social, et qui a démontré son inefficacité pour réformer la France et, au-delà, l’Europe. Cela en fait-il pour autant un « facho » ? Evidemment, non.

Ce que Macron n’est pas

Contrairement à l’extrême droite, Emmanuel Macron n’est pas raciste. Il n’est pas antisémite. Il n’est pas homophobe. Contrairement à l’extrême droite, il n’applaudit pas lorsque quelques dizaines de généraux à la retraite lancent un appel contre le « laxisme » et « les hordes de banlieue« . Contrairement à Marine Le Pen, il ne félicite pas ces militaires qui menacent la France « d’une intervention de leurs camarades d’active pour protéger les valeurs civilisationnelles d’un pays en plein délitement « . Contrairement à la candidate du Rassemblement national, Emmanuel Macron ne fantasme pas une France prétendument menacée par des hordes d’immigrés en guerre contre notre modèle civilisationnel.

Le parti des marchands de haine

Si l’extrême droite arrive au pouvoir, j’aurai la trouille pour mes amis juifs. J’aurai la trouille pour mes amis musulmans. J’aurai la trouille pour mes amis syndicalistes. J’aurai la trouille pour tous les démocrates, de gauche comme de droite. J’aurai la trouille pour mes amis militants LGBT. J’aurai la trouille pour tous ces artistes qui seront ciblés à cause de leur couleur de peau, ou de leur orientation sexuelle : Hoshi, Camélia Jordana, Yseult, Eddy de Pretto, Slimane, Vitaa… et tant d’autres.

Refuser de choisir entre Macron et Le Pen, c’est dédiaboliser la candidate du Rassemblement national. C’est la banaliser. C’est jouer avec des allumettes. C’est adresser à l’électorat, notamment les jeunes – qui sont ceux qui votent le plus pour l’extrême droite – un message catastrophique : le Rassemblement national serait un parti comme les autres, puisque les électeurs qui « iront à la pêche » au second tour de la présidentielle sont prêts à prendre le risque d’envoyer Marine Le Pen à l’Elysée. Or le Rassemblement national n’est pas un parti comme les autres. C’est le parti des marchands de haine. Haine de l’Autre. Haine de la différence. Haine de la solidarité et de la fraternité.

Le Pen veut ratisser large

Cher ami, tu me diras que la France de Macron est tout sauf irréprochable sur le front de la solidarité et de la fraternité. Tu as raison. Mais si l’extrême droite arrive au pouvoir, elle détruira à la hache la sécurité sociale. Elle détricotera les réformes progressistes en matière de moeurs. Elle nommera ministres quelques vieux potes de Jean-Marie Le Pen, des dingues de Génération Identitaire, un général à poigne à la Défense et un autre à l’Intérieur, Gilbert Collard à la Justice, Eric Zemmour à la Culture. Pour une partie de pêche, un jour d’élection, es-tu prêt à prendre le risque d’être gouverné par ces grands humanistes ? Le risque existe, selon plusieurs enquêtes d’opinion récentes. Il existe d’autant plus que Marine Le Pen lisse son discours, en tout cas sur la forme, pour tenter de ratisser large.

Si l’extrême droite s’installe au pouvoir, deviendras-tu un paria dans ton propre pays ? Ce n’est pas une boutade – ce serait malvenu – si le chaos s’installe en France, tu seras le bienvenu en Belgique francophone, un des rares endroits en Europe, où l’extrême droite n’a aucun élu.

Une sinistre farce

Cher ami, je n’ai pas de leçon à te donner. Juste une certitude à partager avec toi : l’extrême droite au pouvoir saccagera tout ce que nous aimons, le goût des Autres et l’ouverture au monde, la justice sociale et le débat d’idées. Tout cela tournera en sinistre farce si le parti de la haine s’installe aux manettes pour appliquer son programme. Il faut tout faire pour l’en empêcher. Et surtout ne pas aller à la pêche lors du second tour des élections présidentielles.

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