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« Les Russes ont sous-estimé la résistance des Ukrainiens »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Ils connaissent aussi des problèmes logistiques sur l’axe de pénétration vers Kharkiv. Mais ils n’ont pas encore engagé le gros de leurs troupes, à l’instar des Ukrainiens, analyse Joseph Henrotin, spécialiste des questions de défense.

Joseph Henrotin est rédacteur en chef de la revue Défense et sécurité internationale et chargé de cours à l’Institut de stratégie comparée de Paris. Il dresse un premier bilan de l’offensive russe en Ukraine.

La première phase de l’offensive russe en Ukraine qui, semble-t-il, visait le renversement du régime ukrainien a-t-elle en partie échoué ?

Les attaques sur la grande profondeur que l’on a vues dans les deux premiers jours – neutralisation d’aéroports, de dépôts de munitions, de bases navales, de postes de commandement… – est le préalable au reste de l’opération. Cette première phase doit permettre de poser un choc systémique, que les Russes appellent udar, et placer les forces ukrainiennes en état de sidération. A partir de ce moment-là, plus ou moins concomitamment, sont lancés quatre grands axes d’offensive : un au nord avec la descente depuis le Bélarus des deux côtés du Dniepr en direction de Kiev avec, sur le passage, l’aéroport de Gostomel dont la prise par les Russes n’est pas clair; un axe depuis la Crimée qui remonte vers la ville de Kherson, prise par les Russes puis, semble-t-il, reprise par les Ukrainiens; et deux axes venus de l’est, d’une part du Donbass séparatiste, et d’autre part de Belgorod, en Russie, là où il y a eu la plus grande concentration de forces, vers la ville ukrainienne de Kharkiv. On voyait, au matin de ce dimanche 27 février, les Russes y entrer.

Ces pénétrations devaient permettre, selon le calcul russe, de conquérir les grandes villes ukrainiennes et d’arriver à Kiev. Donc, la première phase en tant que telle a eu ses effets. Mais les Ukrainiens, qui n’ont pas été naïfs, peuvent avoir dispersé un certaine nombre de capacités. Des avions, des hélicoptères, des drones ont pu avoir été déployés depuis des routes tout simplement. Si les Russes connaissaient la position des bases aériennes, ils ne connaissaient pas nécessairement des positions sur des routes ou sur des aérodromes improvisés. Même chose pour les dépôts qui peuvent avoir été déplacés. Dans ce cas, la première phase qui vise à tétaniser les forces glisse en quelque sorte sur la carapace de la préparation ukrainienne.

Comment analysez-vous l’offensive terrestre russe ?

On s’aperçoit que la progression des Russes n’est pas si simple que cela, notamment – c’est le paradoxe – là où ils sont les plus puissants sur l’axe Belgorod – Kharkiv, notamment parce qu’ils ont apparemment de gros problèmes logistiques. Les camions de carburant, de munitions, de nourriture n’arrivent pas en nombre suffisant. Il y a une véritable inconnue. Dans le développement de la phase terrestre des opérations, les Russes ont des logiques assez complexes qui font que leurs forces ne sont pas encore « au taquet ». Ils ne sont pas encore à fond parce qu’ils ont un premier échelon, un peu plus que de reconnaissance, qui va chercher à se porter à la rencontre des forces ukrainiennes et à les forcer à se dévoiler. Or on constate que le gros des forces ukrainiennes, les brigades etc…, n’est pas encore engagé. Les Ukrainiens ont anticipé la logique russe de premier échelon. Celui-ci doit être relevé par d’autres échelons, des bataillons qui vont s’additionner. C’est une logique qui transforme un pic à glace en marteau piqueur. Les grandes unités ukrainiennes sont toujours en réserve, peut-être rassemblées autour de Kiev, et les Russes tombent actuellement sur les unités territoriales, composées de réservistes ou de gendarmes.

La résistance de l’armée et de la population ukrainiennes est-elle plus grande que celle qu’avait envisagé les dirigeants et généraux russes ?

Oui, clairement. Je pense que les Russes ont sous-estimé la résistance des Ukrainiens. Ils se sont auto-intoxiqués en partant du principe que l’Ukraine n’était pas une nation et qu’elle ne se défendrait pas parce qu’une bonne partie des habitants sont russophones. Il y a eu un mauvais calcul de la part des Russes quant à la capacité des Ukrainiens à résister. L’Ukraine, au quatrième jour de l’offensive russe, n’est toujours pas défaite. Au contraire, elle semble infliger des pertes assez conséquentes aux Russes tout en sachant que ceux-ci, dans la phase terrestre, n’ont pas engagé eux-mêmes l’ensemble de leurs forces. C’est déjà très violent actuellement. Mais cela risque de s’intensifier encore.

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