La célèbre poignée de mains du 13 septembre 1993 entre Arafat et Rabin. © Belga

« Les racines religieuses de la violence nous ont échappé »

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

« Les multiples conflits, d’ampleur inouïe, qui affectent le Proche-Orient nécessitent une approche radicalement autre, estime Bernard Philippe, diplomate européen en poste à Jérusalem ces trois dernières années. L’Europe doit se ré-Orienter.  »

Diplomate européen, Bernard Philippe a consacré l’essentiel de sa carrière au Proche-Orient. Détaché de l’Union européenne auprès de la Banque mondiale à la suite des Accords d’Oslo (1993), il a joué un rôle actif dans la constitution et le financement des institutions palestiniennes et a participé à d’innombrables discussions sur la recherche de la paix. Ces trois dernières années, il était en poste à Jérusalem comme conseiller politique au sein de la délégation de l’UE. De retour à Bruxelles où il vient de prendre sa retraite, il peut s’exprimer plus librement sur l’évolution du conflit israélo-palestinien et sur la politique proche-orientale de l’Union.

Les Accords d’Oslo entre Israéliens et Palestiniens portaient en germe, il y a une vingtaine d’années, une ère de paix et de prospérité. Pourquoi cette promesse a-t-elle viré au cauchemar ?

La célèbre poignée de mains du 13 septembre 1993 entre Arafat et Rabin a été saluée dans le monde entier. Elle était d’autant plus prometteuse que l’Europe a su, dans la foulée, avoir l’audace d’enraciner Oslo dans une construction régionale novatrice, la « politique de Barcelone ». Elle a mis au coeur les anciens belligérants : Israël face à la Palestine, mais aussi à la Syrie et au Liban. Ce projet euro-méditerranéen visait à consolider la paix et à faire de la misère un mauvais souvenir. Pour couronner le tout, il s’agissait d’en finir avec le « choc des civilisations », grâce à un dialogue nourri avec l’Autre, d’identité et de confession différentes. Hélas, la Mare Nostrum est devenue la Mare Desastrum, comme l’illustrent, au quotidien, les guerres en Syrie et en Irak, les poussées fracassantes de l’Etat islamique et les vagues humaines qui déferlent sur une Europe surprise et démunie. Loin de vouloir interpréter une telle collection d’échecs, j’insisterais sur un enjeu qui nous a souvent échappé et est encore largement négligé : l’irruption du religieux dans la sphère politique et son lien étroit avec la violence. Lors des « printemps arabes », le tropisme séculier, laïque, voire antireligieux des Européens les a empêchés de saisir la nature et la portée de cette émergence, qui n’est pas un épiphénomène.

Dans le conflit israélo-palestinien, le raidissement religieux ne s’observe-t-il pas des deux côtés ?

De fait, le judaïsme en Israël connaît, lui aussi, un raidissement terrible. Il est nourri par la pensée du Rav Kook, premier grand rabbin ashkénaze en terre d’Israël, mort en 1935. C’est lui qui, avec sa théorie de la rédemption, a orienté le sionisme vers le messianisme et a lié le salut religieux du peuple juif à la terre d’Israël. Il a posé ainsi les bases idéologiques de l’ultranationalisme. Le grand tournant remonte à la guerre des Six-Jours, en juin 1967. Pour les Israéliens, victorieux, c’est une résurrection après des années sombres. Un message politico-religieux légitimant la violence s’est alors affirmé. Dans ce cadre, la Bible est considérée comme un cadastre et le gouvernement, investi de la sainteté, a pour mission l’unification du « Grand Israël ». L’objectif est de récupérer des terres, peu importent les moyens et les conséquences pour les populations arabes. La politique de colonisation du gouvernement d’extrême droite actuel n’est pas sans liens avec l’idéologie mystique du Rav Kook. L’Etat juif devant être unifié, l’idée même de négocier un traité de paix avec les Palestiniens perd son sens. Côté palestinien, on n’utilise pas ce temps d’errance pour se réconcilier et faire advenir la paix. ●

L’intégralité de l’entretien dans Le Vif/L’Express de cette semaine

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