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Les juges plus cléments après la pause-déjeuner

Une étude scientifique montre que les magistrats peuvent être influencés, dans leurs décisions, par des facteurs tels que la fatigue, la faim, l’état émotionnel. Une justice trop humaine ?

Les juges se montrent plus compréhensifs l’estomac plein. C’est une étude portant sur plus d’un millier de décisions rendues en Israël qui le prouve. Doit-on en conclure que leurs verdicts sont arbitraires ? Loin de là. Ces travaux et bien d’autres, menés dans différents pays, illustrent simplement le fait que l’art de rendre la justice reste éminemment humain. Ainsi, un jugement peut être biaisé par des éléments extérieurs à l’affaire, comme la couleur de peau de l’accusé, son physique avantageux ou non. Même l’ordre de passage des témoins peut jouer.

Mais revenons dans le détail à l’étude israélienne. Ils sont huit juges, tous expérimentés. Ces hommes et ces femmes statuent sur les demandes de détenus qui souhaitent changer de prison ou obtenir une libération conditionnelle. Du stakhanovisme, à raison de 14 à 35 cas par jour, réglés en six minutes chacun. Les magistrats s’autorisent une collation sur le coup de 10 heures puis, vers 13 heures, une pause-déjeuner. Chercheur en neurosciences à l’université Ben Gourion du Néguev, Shai Danziger a eu l’idée astucieuse de classer leurs jugements par ordre de passage de l’affaire. Surprise ! La proportion de décisions favorables grimpe à 65 % quand les juges démarrent ou redémarrent leur séance l’estomac plein. Et tombe à 0 % juste avant le repas. « Plus les magistrats progressent dans la séance, plus ils sont susceptibles de choisir l’option par défaut, le statu quo, c’est-à-dire le refus », avance l’auteur dans les Actes de l’Académie nationale des sciences américaine. Rassurons-nous : ils ne sombrent pas dans l’irrationnel pour autant, puisque les récidivistes et les détenus ne participant pas aux programmes de réinsertion essuient davantage de refus.

Les juges ne sont donc pas des monstres. Ils se montrent juste, comme tout un chacun, sensibles à la fatigue mais aussi aux émotions suscitées par les délits qu’ils examinent. Une équipe américaine vient de soumettre certains d’entre eux à la technique d’imagerie par résonance magnétique (IRM) fonctionnelle. Lorsque les sujets évaluent la gravité du préjudice corporel subi par la victime, il semble qu’ils activent les mêmes régions de leur cerveau qu’en cas de menace physique réelle à leur encontre. « Nous pensons qu’ils utilisent leur état émotionnel personnel comme une jauge, explique René Marois, professeur en neurosciences à l’université Vanderbilt de Nashville. Cela leur permet, de façon intuitive, d’estimer la sanction méritée par l’accusé. Ils confrontent alors cette intuition avec l’échelle des peines possibles, établie à partir des faits figurant dans le dossier. »

Un instinct de justicier utile à la société

Dans sa précédente étude, publiée en mai dans Nature Neuroscience, son équipe rappelle que l’homme a cette particularité de réagir à la violation de la norme sociale par un tiers même s’il n’est pas lui-même victime du préjudice, ce qui le distingue du chimpanzé. Cet instinct de justicier, fort ancien, explique que notre espèce soit capable de maintenir la cohésion d’un groupe à grande échelle. Encore faut-il que les magistrats rendent des décisions impartiales, même tenaillés par la faim à « L’espèce humaine doit profiter de sa faculté à créer des institutions de justice modernes, un facteur crucial de stabilité sociale », écrivent les chercheurs. Un viatique en période de crise ?

ESTELLE SAGET

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