Philippe Maystadt

Les deux yeux des économistes

Philippe Maystadt Ex-président de la BEI

Comme souvent en France, le débat politique tourne vite à la caricature. La France – et l’Europe – seraient confrontées à un choix binaire. D’un côté, les « suiveurs » d’Angela Merkel, François Hollande et Manuel Valls, sont partisans d’une politique de l’offre: il faut en priorité rétablir la compétitivité des entreprises. D’où le « pacte de responsabilité » comme axe essentiel de la politique économique. De l’autre côté, la « vraie gauche », celle d’Arnaud Montebourg et des « frondeurs » du PS, prône une politique de la demande: il faut en priorité relancer la consommation. D’où le refus de « l’austérité imposée par l’Allemagne ».

Ceux qui connaissent l’histoire économique de la Belgique savent que c’est un faux débat. Dans la seconde moitié des années 1970, les coûts des entreprises belges ont augmenté plus vite que ceux de leurs concurrentes; la perte de compétitivité a entraîné une baisse de leurs ventes; les licenciements et les fermetures se sont multipliés. Pour tenter d’enrayer la montée du chômage, les gouvernements Martens successifs ont mené une politique de la demande: on allait relancer l’économie en injectant du pouvoir d’achat. C’est l’époque où l’on a engagé sans compter dans les services publics et où l’on a inventé de nouveaux transferts aux ménages, comme le quatorzième mois d’allocations familiales ou l’allocation d’attente pour les jeunes. Résultat: comme on ne s’était pas soucié en même temps de rétablir la compétitivité de nos entreprises, celles-ci ont continué à perdre des parts de marché, le pouvoir d’achat supplémentaire s’est porté principalement sur des biens importés, le chômage n’a pas reculé et la dette publique a explosé… Il a fallu attendre le grand tournant de 1982, avec le gouvernement Martens-Gol, pour que l’on attache autant d’importance à l’offre qu’à la demande.

Le président de la Banque Centrale Européenne (BCE), Mario Draghi, a rappelé cette vérité élémentaire: « Une stratégie pour réduire le sous-emploi doit impliquer à la fois des politiques de la demande et de l’offre, tant pour la zone euro qu’au niveau national. » Cela m’a rappelé la maxime de Paul Samuelson: « Les économistes ont deux yeux, l’un pour regarder la demande et l’autre l’offre. » Draghi s’adresse à la fois à l’Allemagne quand il se soucie de soutenir la demande, et à la France et l’Italie lorsqu’il souligne l’importance des réformes structurelles pour améliorer l’offre.

L’Union européenne n’a d’autre choix que d’innover si elle veut rester compétitive.

« Avec 7% de la population mondiale, 25% du PIB mondial et 50% des dépenses sociales mondiales », martèle Angela Merkel, l’Union européenne n’a d’autre choix que d’innover si elle veut rester compétitive. La chancelière a raison: les entreprises européennes sont en général trop peu innovantes; elles investissent trop peu en R&D et elles prennent du retard dans la révolution numérique; elles manquent d’ingénieurs et de travailleurs hautement qualifiés. Mener les réformes nécessaires pour éliminer ces obstacles est indispensable. Mais les fruits de ces réformes ne peuvent apparaître qu’après quelques années et cela ne dispense pas d’utiliser en même temps l’autre oeil pour regarder la demande. L’Allemagne dispose d’une marge de manoeuvre à cet égard; les négociations salariales en cours entre syndicats et employeurs allemands ont commencé à utiliser cette marge; il faut espérer que ce mouvement s’amplifie, notamment par la généralisation d’un salaire minimum et une diminution de l’impôt sur les revenus, et permette ainsi à la consommation domestique allemande de contribuer à la croissance européenne.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire