Chaque fois que le SPD de Martin Schulz (à dr.) s'est associé à la CDU d'Angela Merkel, il y a perdu des voix. © H. HANSCHKE/REUTERS

Le suspense persiste autour de la formation du futur gouvernement allemand

Le Vif

Plus de trois mois après les élections, Angela Merkel est parvenue à un compromis avec les sociaux-démocrates. Mais il doit encore être validé par la base de ce parti.

Cinq jours, dont vingt-quatre heures d’affilée agrémentées de saucisses au curry et de parties de cartes. C’est le temps qu’il a fallu aux démocrates-chrétiens (CDU), emmenés par la chancelière Angela Merkel, et leurs alliés bavarois de la CSU, vainqueurs des élections fédérales, il y a plus de trois mois, pour négocier un accord avec les sociaux-démocrates (SPD) de Martin Schulz. A ce stade, ce n’est qu’un compromis préliminaire, formalisé dans un texte de 28 pages. Le  » contrat de coalition  » définitif en comportera près de 200, dont chaque point sera détaillé pour les quatre ans à venir. L’attribution des portefeuilles ne sera abordée qu’à la fin. En Allemagne, le fond prime les personnalités.

Si le sens des responsabilités, cher aux Allemands, semble l’avoir emporté sur les réticences des partis, c’est parce que leurs dirigeants n’ont guère que le choix de s’entendre. Avec des résultats électoraux en forte baisse, aucun ne souhaitait pourtant reconduire une  » grande coalition  » réduite comme peau de chagrin (53 % à eux deux). Les conservateurs imaginaient s’allier aux libéraux du FDP, leurs partenaires naturels, et aux Verts, tandis que les sociaux-démocrates, faute d’avoir su incarner une alternative à Merkel, préféraient entamer une cure d’opposition, alors que les extrémistes d’AfD faisaient leur entrée au Parlement. Mais ni les uns ni les autres – ni le président de la République, Frank-Walter Steinmeier – ne veulent retourner aux urnes : de nouvelles élections, qui seraient soumises à un processus institutionnel long et complexe, aboutiraient peu ou prou aux mêmes résultats qu’en septembre dernier, selon les sondages. Le pays s’enfoncerait alors dans la crise et y perdrait son crédit en Europe et dans le monde.  » L’Allemagne se retrouverait dans une situation à la belge (NDLR : la crise de 2010-2011 avait duré 541 jours), souligne Hans Stark, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Elle ne peut pas se le permettre.  »

Ce spectre n’est pas totalement écarté, car Martin Schulz doit convaincre sa base, en premier lieu les délégués de son parti, qui se réunissent en congrès ce dimanche 21 janvier. S’ils valident le compromis, les discussions sur le fond se poursuivront pendant plusieurs semaines. Puis, tous les adhérents du SPD seront appelés à entériner par référendum le document final. Ce qui est loin d’être acquis. Si c’est oui, l’Allemagne peut espérer un nouveau gouvernement d’ici à Pâques. Si c’est non, Merkel a encore la possibilité de gouverner sans majorité stable ; mais elle ne le souhaite pas.  » Cela l’obligerait à trouver un compromis sur tous les sujets importants, souligne le député CDU Andreas Jung. C’est presque impossible, car cela coûterait cher sur le plan politique. A l’étranger, face à Donald Trump, Vladimir Poutine ou les autres dirigeants du monde, la chancelière perdrait respect et influence.  »

Accord « formidable »

D’ici là, le suspense continue. D’autant que, s’il a parlé d’un accord  » formidable  » devant les caméras, Martin Schulz n’a pas obtenu tout ce qu’il voulait. Les conservateurs lui ont refusé deux mesures phares : son projet d’assurance-maladie citoyenne – sorte de sécurité sociale – et une augmentation des impôts pour les revenus les plus élevés. Schulz – comme Merkel, d’ailleurs – a aussi concédé à la droitière CSU la limitation à 200 000 par an environ les demandeurs d’asile et le plafonnement du regroupement familial à 1 000 personnes par mois. En contrepartie, les sociaux- démocrates ont obtenu des avancées sur la retraite, l’investissement dans l’éducation et, surtout, la politique européenne, chère à Schulz, ex-président du Parlement de Strasbourg. Le document de coalition promet ainsi de  » renforcer  » et de  » réformer  » la zone euro avec la France, afin de la rendre plus résistante aux crises.  » C’est un signal à Emmanuel Macron, qui attend des réponses à ses propositions de relancer l’Europe « , souligne un partisan de la CDU, jusqu’alors frileuse sur le sujet. Le président français a aussitôt salué le texte.

S’il échoue à mobiliser son parti, Schulz, qui a déjà déçu, aura du mal à en rester le chef

Cela suffira-t-il à emporter l’adhésion du SPD ? Celui-ci reste divisé et sceptique. Moins de 42 % des sympathisants approuvent le nouvel accord (Der Spiegel), car chaque fois qu’il s’est associé à la CDU, il y a perdu des voix. D’aucuns craignent qu’il ne connaisse le sort du Parti socialiste français. Ainsi, l’aile gauche n’entend pas sauver la mise à Merkel, à commencer par le président des Jeunes socialistes (Jusos), Kevin Kühnert, qui milite haut et fort contre la reconduction d’une alliance entre noirs et rouges.  » C’est la première fois que les Jusos montent aussi fortement au créneau, note Henri Ménudier, professeur à Paris III Sorbonne, expert de l’Allemagne. Cela va laisser des traces.  » D’autres responsables du SPD, notamment le maire de Berlin, ont aussi pris leurs distance avec l’ébauche de programme. S’il échoue à mobiliser son parti, Schulz, qui a déjà déçu, aura du mal à en rester le chef. Sa carrière serait terminée, pronostique la presse allemande.

Merkel aussi joue sa survie politique.  » Son autorité est entamée, note Henri Ménudier. Elle n’a plus la confiance d’autrefois. Elle n’est plus la femme superpuissante qu’on décrivait. Si un gouvernement est finalement formé, des difficultés sont à prévoir. D’un côté, le SPD va devoir gérer la contestation interne et montrer qu’il se différencie de la CDU, qu’il n’accepte pas tout, notamment sur le plan social. D’un autre côté, une partie des conservateurs reproche à Merkel d’avoir déjà trop cédé à gauche.  » Pour les observateurs, l’ère Merkel touche à sa fin.  » L’idée s’est imposée dans l’opinion « , note Ménudier, qui parie sur un retrait avant la fin de son mandat éventuel pour préparer sa succession.  » Si elle va au bout, elle risque de s’épuiser, comme Helmut Kohl en 1998 « , souligne-t-il. Hans Stark, de l’Ifri, abonde :  » Angela Merkel a intérêt à faire émerger une personnalité loyale.  »

Calife à la place du calife

A la CDU, l’après-Merkel n’est plus tabou : selon un sondage, une majorité des sympathisants souhaitent renouveler la direction du parti – même s’ils ne voient, pour l’instant, personne d’autre capable de diriger le gouvernement. Dans la petite équipe de négociateurs de la CDU, la chancelière a pris soin d’intégrer, afin de le neutraliser, Jens Spahn, le jeune secrétaire d’Etat parlementaire auprès du ministre des Finances (37 ans), qui se verrait bien à sa place. Elle a aussi choisi deux femmes, que l’on présente comme des successeurs possibles : Julia Klöckner, secrétaire d’Etat parlementaire à l’Alimentation et à l’Agriculture et, surtout, Annegret Kramp-Karrenbauer, ministre-présidente de la Sarre, âgée de 55 ans, aux convictions à la fois conservatrices et sociales, décrite comme son double ouest-allemand. On la surnomme la  » Merkel de la Sarre « . La voie est tracée.

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