Michio Degawa, 70 ans, a été champion de surf dans les années 1960-1970. © PHILIPPE CORNET

Le surf aux JO de Tokyo, reflet du Japon d’aujourd’hui

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Le judo masculin est intronisé pour la première fois discipline olympique en 1964. A Tokyo. Pour le surf, le baptême officiel s’inscrit à l’édition 2021. A Tokyo. Un lien entre deux époques, deux habitudes strictement, « ethniquement », dissemblables. Reflets du Japon d’aujourd’hui.

Le judo est ancré dans l’ADN japonais. Le surf , comme le base-ball, extrêmement populaire sur l’archipel, est un produit d’importation. Et pas n’importe lequel. Impossible de distinguer la planche reine des vagues de l’ombre prégnante américaine. Le double cataclysme d’Hiroshima-Nagasaki, en août 1945, contraint le pays à la reddition. Depuis, le Japon vit toujours avec la présence militaire américaine, dispersée en diverses bases – dont celle, majeure, de l’île d’Okinawa – et une vaste influence culturelle yankee. Qui, en 2021, mobilise encore 37 000 soldats de l’US Army en différents points du pays. « En fait, le surf a été une sorte de transition entre l’ancienne société japonaise et la modernité des années 1960 », résume Michio Degawa, 70 ans, champion de surf dans le Japon des sixties-seventies. Belle gueule, belle silhouette, il habite et travaille à Kamakura, où il possède un magasin chic qui vend entre autres ses propres créations de planches. Cette cité balnéaire à une heure de train de Tokyo évoque une sorte de mini-San Francisco par son évident boboïsme et son imprenable vue sur le Pacifique. Avec maisons en bois sur les hauteurs et avertissements affichés dans la rue qu’en cas de tsunami, l’abri se trouve à 950 mètres de la plage. D’où les énormes structures de béton qui, en théorie, mettent la digue à l’abri. Rappelant, mine de rien, que cet archipel de 6 852 îles vit depuis des millénaires avec une épée de Damoclès qui s’appelle ici tremblements de terre et vagues géantes.

Le surf a été une sorte de transition entre l’ancienne société japonaise et la modernité.

Sport de quasi-voyous

Comme pour justifier le temps qui passe, la vaste baie de Kamakura fut en 1964 le site des compétitions olympiques de voile et elle est devenue, au fil des décennies, « le centre spirituel du surf japonais » selon Michio Degawa, qu’on nomme, formule de politesse incluse, Degawa San. Un de ses amis, GG San, que l’on repère parce qu’il fume la pipe à côté de sa planche en regardant la mer, corrobore l’idée que le surf via les Américains des bases alentours a donné un autre parfum aux presque 30 000 kilomètres de côtes japonaises: « Notre génération a quand même été épatée par l’exemple des surfeurs américains qui venaient à Kamakura et ailleurs. Ils avaient des corps athlétiques et puis la volonté d’affronter l’océan. » Kamakura est un endroit d’autant plus particulier qu’au-delà de ses atours de carte postale superagréable, la localité bénéficie pendant toute l’année d’un climat clément. L’été, la fraîcheur océanique évite la désagréable chaleur humide de Tokyo. Elle permet même d’affronter un hiver bien moins rigoureux qu’au nord de l’Archipel, notamment de la très neigeuse île d’Hokkaido. Très loin de la monotonie urbaine, celle des 37 millions de Tokyoïtes et de l’insensée sensation d’infinité urbaine, Kamakura donne un peu d’espace, de respiration, voire de bohème.

Y compris aux surfeuses. Eriko, l’épouse de Michio Degawa, précise que dans les années 1960-1970, « le surf était perçu comme une pratique de quasi-voyous, de gens alternatifs, à ne pas fréquenter ». On rumine la définition d’Eriko en regardant les archives de Degawa San: des images en super-8 des Américains dans les sixties mais aussi de beaux instantanés vintage où les participants saluent l’océan, notamment devant un autel construit pour l’occasion. Mais les olympiades de surf 2021 n’ont pas eu lieu à Kamakura. Elles se sont déroulées à Ichinomiya, de l’autre côté de la baie de Tokyo, du 25 au 28 juillet. Les vagues y font des rouleaux spectaculaires et, lorsqu’on y passe, on voit un océan courroucé et gris, qui semble fâché avec sa propre histoire. Peut-être pas un hasard, puisque c’est depuis ce spot sauvage qu’en 1945, l’armée japonaise a lancé ses dernières billes . Soit des ballons-bombes supposés être transportés par les courants venteux jusqu’à la côte ouest des Etats-Unis. Le résultat final sera peu probant – quelques morts en Oregon – mais symboliquement fort. Qui aurait imaginé qu’un sport créé par les Américains concourrait pour l’olympisme, au même endroit, trois quarts de siècle plus tard?

Ayana Kuwata, 16 ans, vise les JO de Paris en 2024 et ceux de Los Angeles en 2028.
Ayana Kuwata, 16 ans, vise les JO de Paris en 2024 et ceux de Los Angeles en 2028.© PHILIPPE CORNET

Judo, empire national

Ça ressemble à un grand pavillon un peu kitsch, au sein d’un parc de Chiyoda, au centre de Tokyo. Célèbre à l’international par ses concerts – des Beatles à Dylan -, le Nippon Budokan et ses 14 000 places ont une autre signification pour les Japonais: celle de la défaite, le 24 octobre 1964, du champion national Akio Kaminaga, en catégorie open, devant la montagne néerlandaise Anton Geesink, vingt centimètres et de généreux kilos en plus. La source d’un séisme national qui choque les Japonais, les surprend, les humilie. Qu’un étranger ravisse l’ultime récompense sportive internationale dans leur sport constitue un traumatisme sans pareil. Jamais oublié. Cinquante-sept ans plus tard, le judo – discipline olympique masculine en 1964, en 1992 pour les femmes – incarne toujours un idéal japonais sublimé. Qui veut arracher le futur.

Ayana Kuwata, 16 ans, ne vise pas ces JO de 2021 mais cible les suivants, ceux de Paris 2024 et de Los Angeles 2028. Une abondante chevelure noire, des yeux rieurs et une catégorie plume « des moins de 48 kilos ». Ayana a été championne lycéenne du Japon. Repérée par Takeshi Miura – qui débusqua la double médaille d’or olympique Ryoko Tani en 2000 et 2004 -, cette fille de la classe moyenne incarne le suprême esprit combatif nippon. Soit six entraînements de trois heures par semaine, après les cours. Et l’invitation faite par son lycée privé du nord de Tokyo de quitter le domicile familial pour vivre dans un appartement communautaire, financé par l’école, confirmant que la filière entre la scolarité et la compétition sportive s’exprime toujours au maximum en judo.

Au centre de Tokyo, un autre bâtiment d’importance pour le sport: le Kodokan est un dojo, un lieu « où l’on étudie, où l’on cherche la voie ». Mais cet espace de méditation est aussi celui des arts martiaux et, bien entendu, du judo. Créé en 1882 par Jigoro Kano, initiateur du sport national, ce Kodokan a l’un des plus grands tatamis du Japon. Et offre la particularité d’entraînements en public: depuis les gradins, on mesure un soir à Tokyo, ce que les enfants japonais de 10-12 ans ont dans le ventre et les jambes.

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