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Le mur « antimigrants » en Hongrie, le retour d’un rideau de fer en Europe

Le Vif

Le long de la frontière avec la Serbie, la Hongrie a construit un « mur antimigrants ». Deux ans plus tard, le gouvernement nationaliste et populiste de Viktor Orban demeure sourd aux critiques alors que la Cour de justice de l’UE a rejeté « dans leur intégralité » les recours déposés par la Hongrie et la Slovaquie contre les quotas d’accueil de réfugiés décidés en septembre 2015.

La voici, alors, la  » clôture antimigrants  » érigée entre la Hongrie et la Serbie.  » Clôture antimigrants  » ? Les mots sont piégés dans les affaires de ce genre, qui mettent en jeu la peur de l’inconnu et les fantasmes. Soyons précis, alors. Et factuels.

Un nouveau  » mur  » est apparu en Europe. Ironie de l’histoire, il se dresse dans le premier pays de l’ancien bloc de l’Est à avoir démantelé, dès mai 1989, le Rideau de fer né de la guerre froide, qui coupa le continent en deux durant près de trente ans.

A partir de l’été 2015, le long des 175 kilomètres de la frontière qui sépare la Hongrie et la Serbie, le gouvernement de Budapest a fait construire non pas une, mais deux palissades métalliques, hautes de 4 mètres et espacées de 6 mètres l’une de l’autre, chacune couronnée d’une épaisse couche de barbelés.

Au cas où ces précautions ne suffiraient pas, des miradors high-tech équipés de puissants projecteurs, des détecteurs de mouvement, des caméras thermiques et des haut-parleurs dissuadent ceux qui, malgré tout, tenteraient de traverser. Et un chemin bitumé a été aménagé, côté hongrois, afin de faciliter le passage des soldats chargés de patrouiller dans la zone. Partiellement prolongée sur la frontière avec la Croatie, la clôture le sera aussi face à la Roumanie.

En 2015 et en 2016, un million de personnes ont emprunté la  » route des Balkans « . Venues de Syrie, notamment, beaucoup tentaient de rejoindre le Royaume-Uni et l’Allemagne, où la chancelière, Angela Merkel, avait proclamé l’ouverture des frontières. Depuis lors, dans cette région située aux confins de l’espace Schengen – un espace réunissant 26 Etats, à l’intérieur duquel les voyageurs se déplacent sans contrôle -, le gouvernement de Viktor Orban, nationaliste et populiste, a développé la législation antimigrants la plus sévère de l’Union européenne.

Le mur
© Art Presse

Depuis septembre 2015, la simple entrée sur le territoire hongrois sans autorisation est devenue un crime passible de trois ans de prison. Et les dispositions ont encore été durcies, il y a peu. En vertu d’une loi adoptée en mars dernier par le Parlement de Budapest, les demandeurs d’asile sont systématiquement placés en détention dans des camps établis le long de la clôture ; interdits aux journalistes, ils sont, eux aussi, entourés de barbelés. De telles dispositions, contraires au droit européen, reviennent à emprisonner durant plusieurs mois des demandeurs d’asile. Au terme du processus, dans plus de 9 cas sur 10, leur requête est rejetée.  » La route des Balkans est fermée « , résume Erno Simon, porte-parole pour le Haut-Commissariat aux réfugiés, l’agence spécialisée de l’ONU. 3

La Hongrie assure appliquer les conventions internationales et ses obligations légales, mais la Cour européenne des droits de l’homme n’est pas de cet avis : ses sept juges ont estimé à l’unanimité, le 28 février dernier, que Budapest ne respectait pas ses engagements en la matière.

Le gouvernement Orban refuse aussi d’appliquer le programme de répartition de 160 000 réfugiés, adopté à la majorité des pays membres. Bruxelles a pourtant accordé au pays 24 millions d’euros pour la période 2014-2020, dans l’unique but de mieux gérer l’asile et l’intégration. A elle seule, cependant, l’érection de la clôture a coûté plus de 900 millions d’euros, selon le secrétaire d’Etat hongrois à l’Intérieur – un investissement qui aurait surtout profité aux entreprises proches du régime, dit-on.

Les conditions sont meilleures dans les pays voisins, grâce aux fonds de l’Union européenne (UE), notamment. En Serbie, le gouvernement gère 17 camps, où quelque 10 000 migrants bénéficient d’un lit et de nourriture. En Bulgarie aussi, quelque 10 000 demandeurs d’asile sont retenus dans des centres ouverts, en attendant l’étude de leur dossier. Beaucoup quittent les lieux sans attendre la réponse.

Défi humanitaire

La politique migratoire du Premier ministre hongrois lui a attiré de nombreuses critiques. L’année dernière, le ministre des Affaires étrangères du Luxembourg, Jean Asselborn, a suggéré d’expulser la Hongrie de l’Union, accusant le gouvernement de traiter les réfugiés fuyant les conflits du Proche-Orient  » moins bien que des animaux sauvages « . Mais de telles déclarations se font de plus en plus rares, hormis en Suède, pour la plus grande joie de Budapest :  » Quand je les ai informés des dernières dispositions légales applicables en Hongrie, les chefs de gouvernement des Etats membres n’ont opposé aucune objection « , a souligné Viktor Orban à l’issue d’un Conseil européen, en mars. Comment expliquer cette discrétion nouvelle ?

En matière migratoire, à défaut d’une politique d’asile commune, chaque pays semble chercher sa voie. Grâce à un accord conclu avec la Turquie, seuls 363 000 réfugiés ont frappé aux portes de l’UE en 2016, contre 1 million l’année précédente. Mais la  » crise des migrants  » est loin d’être terminée. Or, l’Europe semble incapable de relever ce défi historique et humanitaire sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Durant les huits premiers mois de l’année, l’Italie a accueilli à elle seule 85 % des 118 000 migrants venus de Libye, tandis que 2 400 périssaient en mer. Loin des Balkans, le drame se déroule désormais au large des côtes. Loin des caméras.

Par Marc Epstein.

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