Gérald Papy

Le monde d’après ne sera pas automatiquement plus chinois. Il peut l’être moins

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La gouvernance au temps du coronavirus est une alchimie délicate que peu d’entre nous rêveraient de devoir assumer. Elle réclame de la précision face à une pandémie aux développements en partie méconnus et de la sensibilité face à des peurs qui éprouvent notre raison et exacerbent nos émotions.

Si des dirigeants européens sont passés d’une relative indifférence hier au port du masque par l’ensemble de la population à sa recommandation appuyée aujourd’hui, ce n’est pas en vertu d’une évolution de la prescription scientifique – l’avis est qu’une telle protection est globalement utile – mais bien en raison de la nécessité économique de réserver le nombre limité de masques dont ils disposaient dans un premier temps aux personnes qui en avaient prioritairement besoin. L’expliquer avec pédagogie aurait été nécessaire dans une démocratie où toute décision est légitimement questionnée. D’autant que le scénario se répète pour les tests de dépistage et un possible tracking des malades.

Les dirigeants de régimes autoritaires ont moins à se soucier de l’opinion de leurs administrés et, parce qu’ils sont plus radicaux dans leurs prises de décisions, peuvent apparaître mieux armés pour répondre à ce genre de crise de santé publique. Trois mois après la révélation des dangers du Covid-19, la Chine symboliserait ce modèle d’efficacité, d’autant que l’Europe et, plus encore, les Etats-Unis donnent l’image de pays mal préparés, hésitants sur la stratégie à suivre, et, malgré leurs moyens, débordés par l’afflux de personnes hospitalisées. Pékin déploie en outre une diplomatie du bon samaritain, par masques et médicaments interposés, qui accroît encore cet écart de perception.

Et pourtant, conclure à la victoire de la Chine dans cette confrontation idéologique est une erreur. D’abord parce que c’est oublier un peu vite d’où la catastrophe est venue et dans quel contexte : outre pour le défaut de prévention qui a permis l’émergence de la maladie, Pékin peut être accusée de l’avoir un temps occultée et donc d’avoir causé un retard dans sa prise en considération au niveau mondial. Ensuite, parce que les scientifiques doutent de la réalité chiffrée des ravages du Covid-19 en Chine et craignent que le confinement strict ordonné n’empêche pas un rebond de la pandémie. Enfin, parce que le déni de certaines libertés a bel et bien handicapé la lutte contre l’épidémie. L’impact du mépris opposé aux lanceurs d’alerte le démontre.

En réalité, la référence qui devrait nous guider en matière de gestion de la crise du coronavirus ne se situe pas en République populaire de Chine, mais à Taiwan et en Corée du Sud. La stratégie du dépistage, du tracking (selon des modalités qui seraient certainement plus contestées en Europe), de l’isolement des personnes infectées, d’un certain confinement et du port étendu du masque y a donné les meilleurs résultats. Or, l’une et l’autre sont des démocraties. Preuve que l’on peut conjuguer les préoccupations de santé publique, d’économie et de respect des libertés.

Le monde d’après ne sera donc pas automatiquement plus chinois, c’est-à-dire plus dirigiste et plus attentatoire aux libertés. Il peut au contraire l’être moins. Parce que les dirigeants occidentaux auront progressivement pris les mesures pour se délier de la dépendance économique à l’égard de Pékin et parce que la crise leur aura appris à trouver l’équilibre entre protection de la santé en période d’épidémie et sauvegarde des libertés.

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