Donald Trump, mauvais perdant, garde un pouvoir de nuisance sur la future présidence de Joe Biden. © GETTY IMAGES

« Le malheureux Joe Biden ne va pas pouvoir faire grand-chose en tant que président »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La hargne des trumpistes et la majorité républicaine au Sénat, si elle est conservée, vont réduire les capacités d’action de Joe Biden, analyse la juriste et américaniste Anne Deysine.

Juriste et américaniste, Anne Deysine analyse l’attitude controversée de Donald Trump depuis l’élection présidentielle et ses conséquences, elle qui est l’auteure d’un livre intitulé Les Etats-Unis et la démocratie (Les Etats-Unis et la démocratie, par Anne E. Deysine, L’Harmattan, 2019, 262 p.).

Donald Trump a-t-il bafoué la démocratie en déclarant à deux reprises avoir gagné avant l’issue du dépouillement des votes?

Il avait préparé le terrain. Quatre mois avant l’élection, il répétait chaque jour que le vote par correspondance était frauduleux et que s’il devait perdre, ce serait parce que l’élection aurait été truquée. Il a semé le doute parmi ses partisans qui se sont répandus dans les réseaux sociaux. Eux sont convaincus qu’il y a eu de la fraude et que les « méchants démocrates » ont volé l’élection alors que les médias, y compris Fox News, ont fait preuve de beaucoup de responsabilité. Ils n’ont cessé de répéter: il n’y a pas de preuves d’irrégularités et il est normal que les résultats changent parce que le décompte a d’abord pris en considération le vote en présentiel, privilégié par les sympathisants républicains, et ensuite seulement le vote par correspondance, auquel beaucoup de démocrates ont eu recours en raison de l’épidémie. Mais nombre de républicains s’informent via les réseaux sociaux plutôt qu’à travers les médias. Et, sur les réseaux, c’est le règne de la désinformation.

Il sera difficile à Joe Biden de faire avancer ses projets.

Donald Trump a-t-il mis, et met-il, en danger la démocratie?

Dans la première partie de mon livre , j’évoque ce que j’appelle l’érosion des bases. Ou comment Donald Trump a sapé l’indépendance du pouvoir judiciaire, les prérogatives du Congrès en empiétant sur son pouvoir, la liberté de la presse en traitant les médias d’ennemis du peuple, etc. Son attitude depuis l’élection est la continuation de cette tentative de détruire les institutions et la primauté du droit.

Donald Trump a-t-il tablé sur un soulèvement populaire, comme l’affirment certains?

Je ne sais pas. En tout cas, qu’il en soit conscient ou non, il a adopté, au cours de son mandat et de ces dernières semaines, un comportement qui ne peut être qu’une incitation à la violence.

La craignez-vous?

Oui. Les républicains nous ont habitués à ne respecter aucune règle du jeu institutionnel. Je ne pense pas que les actions en justice puissent aboutir, tant les contentieux sont vides. Mais il y a la crainte, côté démocrate, que des Etats républicains refusent d’envoyer des grands électeurs (NDLR: à l’assemblée qui élit formellement le président le 14 décembre). Dans cette hypothèse, l’élection du président est validée par la Chambre des représentants non pas par un vote individuel par représentant, mais via un vote par délégation d’Etat. Or, il y a plus d’Etats républicains. Donald Trump pourrait donc être élu par la Chambre en violation du mode de scrutin, en violation du vote populaire…

Des voix, côté républicain, ne vont-elles pas appeler à la raison?

Certes quelques élus républicains ont pris leurs distances avec le président. Ils se disent qu’ils ont profité de l' »effet Trump » pour conserver le Sénat, pour regagner des sièges à la Chambre des représentants (lire l’encadré ci-dessous) et que maintenant, ils peuvent s’en désolidariser. Mais ce ne sont que quelques élus. Sur les réseaux sociaux, les électeurs de Donald Trump sont en revanche extrêmement remontés.

La présidence de Joe Biden sera-t-elle entravée par ce contexte?

Le malheureux Joe Biden ne va pas pouvoir faire grand-chose en tant que président. Avec une majorité républicaine au Sénat et, à sa tête, Mitch McConnell qui est un personnage sans principe et prêt à tout, il sera difficile au président de faire avancer ses projets. Tout ce dont avaient rêvé les démocrates sera envoyé aux oubliettes. Ils devront revoir à la baisse leurs projets extrêmement ambitieux et négocier des compromis qui ne seront pas à la hauteur de ce qu’ils avaient espéré. Pas question d’augmenter le salaire minimum, de développer un vrai Green New Deal, de renforcer l’Obamacare démantelé en partie par les républicains… Le plan de relance économique sera réduit à un petit programme de soutien dans le cadre de la crise du coronavirus. Joe Biden réussira peut-être à rétablir un peu d’apaisement dans le pays et encore, parce que le trumpisme et la violence, au moins verbale, vont continuer. Il pourra sans doute relancer les relations des Etats-Unis au plan international en promouvant un certain retour au multilatéralisme. Mais il est à craindre que sur le plan interne, le mandat de Joe Biden soit extrêmement compliqué.

Cette paralysie annoncée ne va-t-elle pas fortement décevoir l’aile gauche du Parti démocrate?

Les démocrates pourront agir dans les Etats qu’ils contrôlent. Dans les autres, on peut s’attendre à la continuation des politiques existantes, par exemple à l’égard de la police et de ceux qui ont manifesté à peu près pacifiquement depuis six mois, Cela risque d’attiser les colères et les violences. Que fera la gauche du Parti démocrate? On ne le sait pas. Mais ce n’est pas encourageant. Je suis extrêmement pessimiste. J’avais espéré qu’avec une majorité dans les deux chambres, les démocrates auraient les moyens d’adapter les institutions, de freiner la dérive à droite, d’atténuer la dérégulation capitaliste et de rétablir plus d’égalité. Il n’y a pas de filet social aux Etats-Unis. Des millions de personnes sont jetées de leur maison chaque semaine. Les inégalités vont continuer. La pauvreté va augmenter. Et je ne sais pas à quel moment et comment il peut y avoir un retournement de tendance.

Sénat en attente

Le 3 novembre, les Américains étaient également appelés à choisir les membres de la Chambre des représentants (435) et 35 de ceux du Sénat (100). Dans la première assemblée, les républicains ont réduit l’écart du nombre d’élus avec les démocrates mais pas au point de menacer la majorité de ces derniers. Au Sénat, dominé par les républicains dans la précédente législature avec 53 élus contre 47 aux démocrates, le doute subsiste. En début de semaine alors que les deux camps pouvaient revendiquer 48 sièges, quatre postes devaient encore être attribués. L’un en Caroline du Nord et un autre en Alaska étaient promis aux républicains. Les deux autres, attribués en Géorgie, étaient en ballottage favorable à un candidat républicain pour l’un, à un prétendant démocrate pour l’autre. Aucun des deux ne semblait pouvoir dépasser les 50% en raison de la présence de trois candidats ayant récolté un certain pourcentage. Dès lors, un second tour était envisagé pour le 5 janvier. Si les démocrates empochaient ces deux représentations en Géorgie, ils obtiendraient 50 parlementaires, à égalité avec les républicains. En réalité, ils contrôleraient de manière inespérée le Sénat puisque dans cette hypothèse, la voix du président de l’assemblée, en l’occurrence la vice-présidente Kamala Harris, pourrait trancher les débats en cas de blocage.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire