Christian Makarian

Le Liban sera-t-il une nouvelle Syrie ?

Un grand bouleversement stratégique est en cours d’accomplissement : l’Arabie saoudite est résolue à devenir l’acteur majeur du Moyen-Orient, à dicter ses règles aux autres nations arabes et à rompre le tabou qui opposait ces dernières à Israël depuis un siècle.

Une éruption qui ensevelit les constructions précédentes, aussi chaotiques fussent-elles, et achève la fragmentation d’une zone férocement dévolue aux rapports de force ethniques, religieux, communautaires, tribaux, comme hors du temps.

En toile de fond, la haine qui met aux prises, en particulier depuis 1979 et l’avènement de l’ayatollah Khomeini, le régime iranien et la monarchie wahhabite. On en connaît les racines religieuses – le conflit entre chiisme et sunnisme depuis les origines mêmes de l’islam -, mais on attribue sans doute un peu trop d’importance à ce facteur, qui sert d’habillage idéologique à une rivalité bien plus profonde : du point de vue de l’antique civilisation perse, le royaume des Saoud, enrichi par la manne pétrolière et acquis aux Américains, ressemble à une aberration. A l’inverse, pour Riyad, la République islamique de Téhéran est une entité impie, entièrement tournée vers la déstabilisation de l’Orient. De surcroît, cette République honnie est couronnée de succès dans ses opérations extérieures les plus néfastes, comme le prouvent les menées iraniennes en Irak, pays à majorité chiite, en Syrie, en soutien au régime d’Assad, au Yémen, en appui à la rébellion chiite des Houthis, à Gaza, au côté du Hamas sunnite.

L’Arabie saoudite cherche un nouveau théâtre de conflit pour affronter l’Iran

Mais, de loin, l’investissement le plus impressionnant de l’Iran est celui effectué au Liban auprès des chiites, qui, autrefois minorité musulmane, sont désormais à parité avec les sunnites. C’est dans la vallée de la Bekaa, au Sud-Liban le long de la frontière avec Israël (malgré la présence de plusieurs villages chrétiens) et dans la banlieue sud de Beyrouth que les forces du Hezbollah (le Parti de Dieu) chiite, dirigé par le très retors Hassan Nasrallah, se sont taillé un Etat dans l’Etat. Comme l’a montré la dernière élection présidentielle, qui a fini, après de longs mois de vacance du pouvoir, par installer le général Michel Aoun, avec le nihil obstat du Hezbollah. Pour Riyad, cette mainmise totale de Nasrallah (et de Téhéran !) sur la vie politique libanaise s’accompagne d’une série de victoires militaires remportées par le Hezbollah en Syrie : sans ces combattants venus du Liban, Assad aurait eu beaucoup de mal à vaincre ses adversaires (parmi lesquels des factions islamistes sont largement soutenues par l’Arabie saoudite). Cette situation irrite au plus haut point les Saoudiens, qui n’ont cessé de faire part de leur exaspération aux autorités libanaises : en mars 2016, l’Arabie avait annoncé qu’elle suspendait l’aide financière de 3 milliards de dollars accordée à l’armée libanaise (dont une partie a servi à acquérir des armements de fabrication française), avant de rétablir cette facilité.

C’est dans ce contexte extrêmement tendu qu’est intervenue comme un coup de tonnerre la démission (désormais suspendue à des négociations sur le poids du Hezbollah) du Premier ministre libanais, Saad Hariri, prononcée depuis Riyad et juste après la reprise de la ville de Deir ez-Zor par les forces d’Assad et de ses alliés du Hezbollah (ainsi que de l’Iran et de la Russie)… Après la mise au ban et l’étouffement économique du Qatar pour cause de bonne intelligence avec l’Iran, Riyad et ses alliés du Golfe, qui bénéficient d’un chèque en blanc de Donald Trump, envoient ainsi un signal aveuglant à l’ensemble de la région, et bien au-delà : l’Arabie saoudite cherche un autre théâtre de conflit – le Liban – où elle puisse affronter l’Iran et lui infliger une défaite pour compenser l’échec cuisant qu’elle a subi en Syrie. Une très mauvaise nouvelle.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire