Yahya Sinouar (au centre), chef du Hamas à Gaza depuis février 2017 : un dur mais aussi un pragmatique. © GETTY IMAGES

Le cavalier seul du Hamas

Le mouvement islamiste veut prouver sa capacité à administrer un territoire et pas seulement à faire la guerre. Il soigne ses relations avec Israël. Pour tenter de sauver ce qui peut encore l’être à Gaza ?

L’info a circulé de manière récurrente depuis le mois d’avril dernier. La crise du coronavirus aurait boosté les négociations indirectes entre Israël et le Hamas pour un échange de prisonniers : deux civils et les dépouilles de deux soldats israéliens contre un nombre indéfini de détenus palestiniens malades et âgés. Le dernier accord d’envergure de ce genre remonte à 2011 lorsque 1 000 ressortissants palestiniens avaient été libérés contre un soldat israélien nommé Gilad Shalit.

Pour beaucoup de spécialistes, ces discussions prouvent la volonté des deux parties de trouver un accord plus large pour améliorer significativement les conditions de vie des habitants de Gaza et éventuellement alléger le blocus qui leur est imposé.  » Le Hamas est à une époque de son histoire où il est aussi affaibli qu’il pourrait l’être. D’un point de vue militaire, il ne représente presque plus de forme de dissuasion pour l’état-major israélien « , estime Didier Leroy, chercheur à l’Institut royal supérieur de défense (IRSD).  » Dans ce contexte-là, il n’a pas d’autre choix que d’avancer de manière symbolique : à travers l’amendement de sa charte qui reconnaît implicitement les frontières de 1967 (NDLR. : qui étend la superficie effective de l’Etat d’Israël par rapport au plan de partage de 1947) ou via l’échange de prisonniers qui rend de facto l’armée israélienne partenaire.  » Le Hamas refuse toujours catégoriquement de considérer Israël comme une entité légitime, mais il concède l’existence de discussions avec des intermédiaires. C’est la différence entre ce qui relève de l’idéologique et du réalisme : c’est avec des petites avancées pragmatiques que le Hamas peut faire un peu vivoter le soutien de sa base partisane.

C’est entre durs que l’on négocie, pas entre modérés.

Stratégie de communication

Dans ce contexte, le Hamas donne une importance non négligeable à sa communication.  » Depuis qu’il est leader du Hamas à Gaza, Yahya Sinouar joue un rôle dans la manière par laquelle le mouvement s’adresse à Israël « , analyse Khalil Shiqaqi, professeur de science politique et directeur du Palestinian Center for Policy and Survey Research à Ramallah.  » Yahya Sinouar parle hébreu et a donné plusieurs interviews aux médias d’Israël, qu’il connaît très bien. Je pense qu’il est parvenu à convaincre beaucoup d’Israéliens – certes pas tous – qu’il est pragmatique et que le mouvement qu’il mène à Gaza est le plus à même d’atteindre un accord avec Israël pour pacifier la situation.  »

Mahmoud Abbas, le président d'une Autorité palestinienne de plus en plus distante du Hamas à Gaza.
Mahmoud Abbas, le président d’une Autorité palestinienne de plus en plus distante du Hamas à Gaza.© GETTY IMAGES

Selon Khalil Shiqaqi, le Hamas ne base plus sa communication sur l’aspect  » résistant  » du mouvement. Aujourd’hui, l’approche de Sinouar se concentre plutôt sur le besoin d’atteindre un accord avec Israël, même si le Hamas avait déjà visé cet objectif par le passé, et sur le rejet de la violence. L’homme fort du Hamas a par ailleurs réussi à réunifier plusieurs factions internes du mouvement telles que la branche armée et le leadership installé à l’extérieur des territoires, qui n’étaient pas forcément sur la même longueur d’onde avant son élection. Comment un leader réputé dur, habitué des prisons israéliennes et censé être proche de la branche armée du mouvement islamiste peut-il être vu comme l’homme idéal dans la négociation avec Israël ?  » Le Hamas dirait que c’est entre durs que l’on négocie, pas entre modérés « , argue Leïla Seurat, docteur en science politique à Sciences Po Paris et chercheuse associée au Centre de recherches internationales (Ceri).

Un des objectifs de Yahya Sinouar est d’améliorer les conditions financières des Gazaouis. Ils comptent ainsi sur les millions de dollars transmis depuis des mois par le Qatar dans la bande de Gaza pour financer des infrastructures telles qu’un futur stade de football.  » Le Qatar verse de l’argent à Gaza, mais pas pour payer le salaire des fonctionnaires du Hamas « , distingue Leïla Seurat. Bien qu’insuffisant pour couvrir tous les besoins des Gazaouis, ce financement permet au Hamas de travailler son image internationale et de gagner du temps jusqu’à la signature d’accords de longue durée avec Israël. Du côté israélien justement, le gouvernement semble se satisfaire de ce statu quo sans paix ni guerre qui empêche l’expansion d’un Etat palestinien dirigé par Mahmoud Abbas. Le cavalier seul du Hamas peut donc continuer.  » Quand Sinouar est devenu chef du Hamas à Gaza, il a pourtant cherché à trouver un accord avec Abbas pour réunifier la Cisjordanie et Gaza « , rembobine Khalil Shiqaqi.  » Il a formulé une seule condition : que le Hamas puisse conserver sa grande force militaire, ce que Abbas a refusé. Aujourd’hui, Sinouar est convaincu que la meilleure chose pour lui et son organisation est de passer un accord avec Israël et non avec l’Autorité palestinienne.  »

Crise humanitaire amplifiée

Ces négociations se mènent et se mèneront notamment avec l’Egypte, qui a  » pris acte des préférences américaines officialisées dans le plan Trump et qui négocie avec le Hamas alors que le gouvernement d’Abdel Fattah al-Sissi est censé le considérer comme un ennemi « , détaille Leïla Seurat.  » En reconnaissant le Hamas comme une entité juridique ayant son autorité à Gaza, les Egyptiens écartent du même coup les possibilités de négociations rattachées à la solution d’un Etat palestinien.  »

Une solution qui reste présente dans les discours officiels, mais qui laisse de plus en plus place à un plan B tant pour le Fatah que pour le Hamas, à savoir les discussions  » directes  » avec Israël.  » Si le Hamas parvient à atteindre un accord à long terme avec Israël, je pense qu’il s’estimera en mesure de dire que malgré les conditions difficiles et la non-coopération de l’Autorité palestinienne, il est capable d’administrer son territoire de manière effective en distribuant les besoins de base et en renforçant les lois « , ajoute Khalil Shiqaqi.

Un accord est pourtant loin d’être acquis. En 2011, l’échange de Gilad Shalit contre des centaines de Palestiniens n’avait pas plu à l’opinion publique israélienne. Il est donc peu probable que Benjamin Netanyahou accède aux lourdes requêtes actuelles du Hamas. En attendant, treize ans après le début du blocus, la situation humanitaire de la bande de Gaza se dégrade. Fixé à 53 % avant la pandémie, le taux de pauvreté à Gaza pourrait passer à 64 % dans les prochains mois, selon la Banque mondiale.

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