Jules Gheude

Le cas Zemmour – Emergence d’un néo-fascisme (carte blanche)

Jules Gheude Essayiste politique

L’essayiste Jules Gheude démonte le discours du chroniqueur Eric Zemmour que certains verraient bien en candidat aux présidentielles françaises de 2022.

On connaît les arguments avancés par les tenants de la thèse du « grand remplacement » en France: la souveraineté nationale est compromise par l’évolution de l’Union européenne ; le laxisme de la politique migratoire menace dangereusement l’identité et les valeurs de la République. Une identité dont on se plaît à rappeler qu’elle repose sur la race blanche et la tradition judéo-chrétienne. Si l’on ne réagit pas, nous serons bientôt « remplacés » par les musulmans dont la religion, l’islam, par sa nature éminemment politique, est incompatible avec toute assimilation. Et de fustiger la complicité affichée par les partis de gauche avec les milieux islamistes, le fameux islamo-gauchisme. Haro enfin sur cette bien-pensance qui, au nom du politiquement correct, entrave la sacro-sainte liberté d’expression. On a fait le tour.

Un homme incarne particulièrement bien cette vision profondément réactionnaire: le journaliste-chronique-écrivain Eric Zemmour, dont le nom est désormais cité comme candidat potentiel à l’élection présidentielle de 2022. Homme intellectuellement brillant, excellent débatteur, que n’effraient nullement les poursuites judiciaires pour incitation à la haine raciale.

Eric Zemmour aime provoquer en s’appuyant sur sa vaste érudition littéraire et historique. Ainsi, dans son essai Le Suicide français, il s’en prend à ce qu’il appelle « la doxa paxtonienne ». De quoi s’agit-il? En 2000, paraît, aux Editions Points, l’ouvrage de l’historien américain Robert Paxton consacré à « La France de Vichy » et qui pointe les responsabilités du régime de Pétain dans la persécution et la déportation des Juifs. Pour Eric Zemmour, pas question de classer le Maréchal dans la « malfaisance absolue », car il s’opposa à la déportation des Juifs… français!

Cette manière de vouloir dédouaner Philippe Pétain rejoint ouvertement la mouvance d’extrême-droite. Personne n’ignore plus, en effet, après le brouillon annoté de sa main et retrouvé en 2010, que le Maréchal avait intentionnellement durci les termes de la loi du 3 octobre 1940 sur le statut des Juifs. Aux yeux de Pétain, les Juifs algériens – Eric Zemmour n’a jamais caché ses origines berbères – étaient considérés comme indigènes, et non comme ressortissants français…

On sait aussi que le gouvernement de Vichy n’était pas celui de la République française, mais de l’Etat français, dont la devise officielle était « Travail, Famille, Patrie ».

Eric Zemmour condamne fermement toute censure, en invoquant le caractère souverain du peuple. Ce qui ne l’a toutefois pas empêché le de déposer plainte, le 25 mars 2009, contre le rappeur Youssoupha « pour menace de crime et injure publique ». Dans l’une de ces chansons, celui-ci appelait à « faire taire » le journaliste.

Même s’il dit aujourd’hui regretter cette décision, Eric Zemmour a agi à l’époque en se servant des outils forgés par le législateur pour baliser la liberté d’expression. Le législateur, c’est-à-dire les parlementaires légitimement élus par… le peuple.

Nul n’ignore, en effet, qu’il est permis de tout dire ou écrire publiquement, à condition cependant de ne pas inciter à la haine ou à la violence, de ne pas tenir des propos négationnistes ou racistes, de ne pas diffamer, insulter ou harceler.

Aujourd’hui, Eric Zemmour s’obstine: « Tout, absolument tout, peut se dire ou s’écrire ». Mais a-t-il seulement conscience qu’il ne s’inscrit pas dans la grande tradition des clercs, ceux dont le rôle était de tempérer les passions humaines? On se souvient du livre de Julien Benda « La Trahison des clercs », dans lequel l’auteur s’en prend aux intellectuels « engagés », qui prétendent servir les valeurs du vrai, du beau et du juste, alors qu’ils ne font que les détourner au profit d’une idéologie inquiétante. Dans les années 30, de grands penseurs prônaient aussi l’ordre et un Etat fort… Nous ne ferons pas l’offense de rappeler à Eric Zemmour que la théorie du « grand remplacement » était aussi celle du régime nazi.

Disposant d’une tribune télévisée quotidienne, Eric Zemmour prêche, tel un gourou. Il magnétise ses adeptes, qui s’en vont répandre mécaniquement la bonne parole. Une sorte de lavage du cerveau s’opère.

Lorsque l’animateur le présente lors d’un débat organisé par Valeurs actuelles et qui l’oppose au ministre de l’Economie, Bruno Lemaire, la salle applaudit à tout rompre. Silence pour le ministre. La secte est là, fidèle et soigneusement rôdée.

Eric Zemmour fait flèche de tout bois. A une jeune musulmane qui, sur un plateau télévisé, lui fait observer les discriminations à l’embauche, il répond: « Allez-vous parfois au restaurant chinois? De quelle nationalité sont les serveurs? ». Remarque sans fondement. Car c’est précisément la « couleur locale », une forme d’exotisme que les clients recherchent lorsqu’ils se rendent dans un restaurant de cuisine étrangère. Et de s’obstiner à appeler l’intéressée « mademoiselle », alors qu’elle l’a prié d’utiliser le terme « madame ».

La décadence de la France, Eric Zemmour l’a voit aussi dans le fait que de plus en plus de prénoms ont une consonance étrangère: « Depuis une loi de Bonaparte qui a malheureusement été abolie en 1993, on doit donner aux Français des prénoms du calendrier, c’est-à-dire des saints chrétiens ». Sur le plateau de l’émission « Les terriens du dimanche », il n’hésite pas à se montrer méprisant envers la chroniqueuse Hapsatou Sy, lui lâchant: « C’est votre prénom qui est une insulte à la France! ». Ce passage sera coupé au montage.

Eric Zemmour ne tolère en fait que sa propre bien-pensance. Seule sa vision relève du politiquement correct. En ce sens, il est profondément intolérant.

Ce qui nous paraît caractériser l’époque actuelle, c’est l’amalgame que l’on fait de tout.

La chose qui gêne profondément Eric Zemmour, c’est l’évolution que toute société est amenée à connaître. Au fond de lui-même, il ne doit pas être heureux. Comme l’écrivait André Gide, dans son Journal: « Bien peu de gens aiment vraiment la vie ; l’horreur du changement en est preuve. »

Eric Zemmour craint le changement. Son discours dresse des hommes contre des hommes. On est ici aux antipodes de la philosophie de la mesure, de l’humanisme universel d’un Albert Camus.

Dans un pays comme la France, qui eut, durant de longues années, une histoire commune avec les pays du Maghreb, est-il surprenant de trouver aujourd’hui des ressortissants musulmans, qui contribuent, comme les autres, à l’activité économique du pays? On en dénombre entre 5 et 6 millions, non-pratiquants inclus, pour une population de 67 millions d’habitants. Mais Eric Zemmour y voit comme une tumeur à éradiquer.

On en arrive maintenant à l’islam religieux, qui constitue le second culte pratiqué en France, après le catholicisme. Ici aussi, on pratique allègrement l’amalgame en confondant islam et islamisme radical.

Le catholicisme a mis bien du temps à évoluer. Des Croisades aux guerres de religion, que de sang versé au nom d’un dogme! Le Dieu de l’Ancien Testament est un dieu des armées, en état de colère perpétuelle contre son peuple élu, lui infligeant d’effroyables punitions collectives tout en lui promettant une terre à conquérir au mépris du droit des autochtones.

Si le catholicisme s’est ouvert, pourquoi ne pourrait-il pas en être de même de l’islam? Pourquoi ne pourrait-on pas connaître un islam de France, qui répondrait aux valeurs incarnées par la République?

En 1995, le constitutionnaliste liégeois François Perin, écrivait: « L’existence d’un islam en Europe est irréversible. L’essentiel est de le rendre européen. La seule voie efficace est celle de l’enseignement. Comme l’islam n’est pas unifié, il ne faut pas s’obstiner à ce qu’il le soit. Puisque les musulmans n’ont pas de pape, profitons-en. Nous avons eu assez de fil à retordre avec le nôtre en Europe pour nous réjouir de n’avoir pas à affronter une rugosité de cette nature avec l’islam. »

L’islam de France vient de faire une avancée significative dans ce sens. Le 17 janvier dernier, un accord est, en effet, intervenu entre les neuf fédérations composant le Conseil français du culte musulman pour une « charte des principes ». S’appuyant sur des citations du Coran, elle s’apparente à une déclaration d’allégeance aux principes républicains – égalité hommes-femmes, liberté de croire ou de ne pas croire – reconnus comme surplombant toute conviction religieuse, complétée par un engagement à « ne pas utiliser l’islam (…) pour les besoins d’un agenda politique dicté par une puissance étrangère ».

Les esprits grincheux y trouveront toujours à redire, préférant le repli sur soi à l’ouverture.

On ne retient généralement de la pensée d’Eric Zemmour que l’aspect identitaire et ultra-nationaliste. Mais, à bien le lire, c’est une aversion profonde, quasi obsessionnelle, pour la France républicaine, avec tout ce qu’elle incarne, qui l’habite. Ah !si la monarchie avait pu être rétablie au lendemain de la chute de Napoléon III, avec ce prétendant qui souhaiter ramener l’étendard blanc…

Aujourd’hui, Eric Zemmour met en garde contre une possible guerre civile. Mais il fait tout pour souffler sur les braises. Et l’on assiste à une pernicieuse convergence entre l’extrême droite et l’extrême-gauche, de nature à engendrer un néo-fascisme.

Cela étant, l’islamisme radical est une réalité qu’il ne convient surtout pas d’occulter. Toute dérive doit être sévèrement combattue et condamnée. La communauté musulmane en est d’ailleurs la première victime.

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