" Fatshi " a dû composer avec le " Raïs ", l'ennemi politique d'hier. © JOHN WESSELS / BELGAIMAGE

L’année où Kabila a dû partager le pouvoir

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Investi président le 24 janvier, Félix Tshisekedi doit composer avec son prédécesseur, Joseph Kabila, resté maître du jeu. Une étrange cohabitation.

A six mois des célébrations du 60e anniversaire de l’indépendance du Congo, le surprenant mariage de raison entre le président Félix Tshisekedi, 56 ans, et son prédécesseur Joseph Kabila, 48 ans, tient toujours. Proclamé vainqueur de l’élection présidentielle controversée du 30 décembre 2018, le fils de l’opposant historique Etienne Tshisekedi a été investi le 24 janvier. Depuis lors, il a occupé le devant de la scène politique, avec ses promesses de réformes, son intense activité diplomatique et ses déplacements dans les provinces de l’Est en proie à l’insécurité.  » Fatshi  » a toutefois dû composer avec le  » Raïs « , l’ennemi politique d’hier, qui dispose d’une majorité écrasante à l’Assemblée nationale, au Sénat et dans les assemblées provinciales, et a gardé la main sur l’appareil sécuritaire. Un Kabila qui soigne son image de gentleman-farmer – il s’occupe de la ferme animalière de son immense domaine de Kingakati, près de Kinshasa -, mais dont la stratégie de reconquête de la présidence en 2024 se met déjà en place.

Pour autant, la cohabitation entre un président issu de l’opposition UDPS et l' » autorité morale  » du FCC, la vaste plateforme politique de l’ex-chef de l’Etat, se poursuit sans accros majeurs. A Kinshasa, il se dit même que l’entente est cordiale entre l’affable Tshisekedi, peu expérimenté en politique, et le taiseux Kabila, resté dix-huit ans à la tête du pays. Tous deux semblent avoir intérêt à ne pas écorner l’image d’une alternance pacifique. Les relations entre le président et le  » président honoraire  » sont, en tout cas, plus harmonieuses que celles de leurs formations respectives. Quand les négociations pour le partage du pouvoir s’enlisent ou que les esprits s’échauffent entre militants, les deux hommes se retrouvent chez l’un ou chez l’autre, dînent en compagnie de leurs épouses et palabrent pour trouver des compromis.

Au lendemain de la  » victoire  » de Félix Tshisekedi à la présidentielle, qualifiée de  » hold-up électoral  » par son principal rival Martin Fayulu, de nombreux observateurs prédisaient que le successeur de Joseph Kabila serait un président  » sans réel pouvoir « . Un an plus tard, si le rapport de force reste largement favorable au clan Kabila, Tshisekedi a réussi à conforter son autorité, sa légitimité et sa popularité. Assisté par une équipe de plus de cent personnes, il a profité du blocage des discussions en vue de former le gouvernement pour prendre des décisions et procéder à des nominations. Il a lancé des chantiers routiers dans le cadre de son Programme d’urgence. Il a promis la gratuité de l’enseignement primaire. Il a fait libérer les prisonniers politiques, signe concret d’une détente. Les exilés, dont les opposants Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba, ont pu rentrer au pays. Tshisekedi cherche à mettre un terme aux tueries dans l’est du Congo. Et il a su retourner en sa faveur les pays qui contestaient son élection.

La marge de manoeuvre de Félix Tshisekedi reste toutefois étroite. Sa  » base  » a exigé la publication de l’accord secret qui le lie à Joseph Kabila. Pour préserver la stabilité du pays, Tshisekedi a dû maintenir en place des personnalités de l’ancien régime soupçonnées de détournements de fonds massifs. Le président n’a pas écarté les hauts responsables militaires visés par des sanctions américaines et européennes pour leur implication présumée dans des massacres et la répression de manifestations prodémocratie. Il a cédé au clan Kabila le poste de Premier ministre et les ministères stratégiques de la Défense, des Finances et des Mines. Mais la majorité de la population congolaise s’est résignée à donner sa chance au fils d’Etienne.

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