Gérald Papy

L’Afghanistan, le cimetière des empires et des illusions (édito)

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’échec en Afghanistan questionne magistralement la prétention des Occidentaux à imposer leur modèle démocratique de gouvernance. L’édito de Gérald Papy, rédacteur en chef adjoint.

L’ Afghanistan confirme sa renommée de « cimetière des empires ». Après les Britanniques au XIXe siècle et les Russes au XXe, voici les Américains contraints à une retraite militaire, annoncée et programmée mais pas moins piteuse que celles de leurs prédécesseurs.

En scellant un accord avec les anciens protecteurs d’Oussama Ben Laden en février 2020, Donald Trump avait ouvert la voie à ce qu’il pensait être une transition en relative douceur à Kaboul. Il cherchait surtout à éviter toute entrave à l’exfiltration des derniers soldats américains du pays. Ce n’était déjà pas glorieux. La tournure qu’a prise le passage de pouvoir, avec la débâcle de l’armée locale, la fuite des dirigeants, et l’abandon des Afghans pro-occidentaux à leur sort, transforme l’opération en fiasco lamentable. Vingt ans de présence, plus de mille milliards de dollars investis, 2 400 soldats américains et des centaines d’autres de la coalition tués pour, finalement, restaurer au pouvoir ceux que l’intervention devait chasser après les attentats du 11-Septembre, le gâchis ne restera pas sans conséquences.

Héritier d’une situation inextricable dont la responsabilité incombe d’abord à ses prédécesseurs, George W. Bush, Barack Obama et Donald Trump, Joe Biden a beau jeu de minimiser la portée de la mission américaine de 2001 en Afghanistan: empêcher que le pays redevienne un sanctuaire du terrorisme et non y installer durablement un pouvoir ami. Or, même cet objectif minimaliste, le président des Etats-Unis est-il si sûr de pouvoir le garantir?

La prise de pouvoir par les talibans se déroule pour l’heure sans manifestations trop apparentes de répression et de sectarisme. Leurs dirigeants donnent même des gages de « modération » en annonçant une amnistie pour les fonctionnaires, en assurant que les filles pourront poursuivre leur cursus scolaire et les femmes continuer à travailler, ou en promettant de ne plus soutenir de fondamentalistes étrangers, ouïghours ou arabes. Ces dispositions serviront peut-être leurs intérêts un temps. Et d’éventuelles dissensions en leur sein entre nationalistes et internationalistes, entre ultraradicaux et radicaux seront alors cruciales à scruter pour juger de l’avenir du régime. Mais qu’en sera-t-il une fois tous les Occidentaux partis, une fois les difficultés inhérentes à l’exercice du pouvoir apparues?

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La marge de manoeuvre des Etats-Unis si l’Afghanistan redevenait un foyer d’instabilité s’est en effet considérablement réduite. Les talibans ne sont plus seulement identifiés à la communauté pachtoune. Ils sont mieux armés. Ils sont délivrés de toute opposition crédible, du style de celle que dirigeait le commandant Massoud, et l’adhésion de la population occidentale à une intervention extérieure sera difficile à reforger.

Après les aventures controversées en Irak, en Syrie, en Libye ou au Mali, l’échec de la plus longue des guerres de l’histoire des Etats-Unis constitue un tournant stratégique majeur. Il questionne magistralement la prétention des Occidentaux à imposer leur modèle de gouvernance démocratique. S’ils se révèlent incapables de persuader leurs partenaires de ses vertus et d’en faire émerger une version respectueuse des spécificités endogènes, mieux vaut effectivement renoncer à le promouvoir. Avec le risque de voir l’obscurantisme s’abattre à nouveau sur une grande partie de la population, féminine en première ligne, sous le regard indifférent des nouveaux alliés chinois ou russes.

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