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La société en 2030: Sa majesté et les robots

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

2030. La reine Elisabeth règne sur la Belgique depuis quatre ans. Elle a déjà dû régler trois crises politiques. Pourtant, ses détracteurs restent nombreux. Une femme, pour la première fois sur le trône… et à la Maison-Blanche.

 » Majesté, vous trouverez, ci-joints, la revue de presse de ce 25 octobre 2030, ainsi que les e-mails des citoyens. En ce jour particulier, quelques courriers vous ont également été adressés. Ils ont été déposés sur votre bureau.  » Sans doute encore des vieux qui lui envoient une carte d’anniversaire ! Elisabeth ouvre une première enveloppe – tellement désuet, le papier ! -,  » Meilleurs voeux pour vos 29 ans « . Elle pourrait ne pas les lire, ces courriels comme ces lettres, mais elle y tient. Même les insultes, du genre  » qu’une gonzesse dirige le Royaume, ça me donne envie de gerber, retourne couper tes rubans « . Quand elle a accédé au trône, quatre ans auparavant, c’était encore plus virulent. Parce qu’en plus d’être porteuse d’ovaires, elle n’avait alors que 25 ans. Comme si elle avait demandé à ce que son père meure si jeune ! Elisabeth se demande bien ce qu’il faudrait, pour que les femmes soient enfin considérées comme les égales des hommes. Une présidente des Etats-Unis, apparemment, ce n’est pas suffisant. Elle se débrouille pourtant bien, depuis deux ans, Alexandria Ocasio-Cortez. Elle met en place son G reen New Deal, qu’elle promouvait déjà en 2019.

Elisabeth avait jubilé quand Adélaïde Charlier avait été nommée.

Elisabeth se rappelle les interminables tergiversations autour du  » plan climat  » belge. Elle s’en souvient, les partis avaient commencé à en parler quand les jeunes s’étaient mis à défiler dans les rues pour sauver l’environnement. Elle n’avait pas encore 18 ans, mais qu’est-ce qu’elle aurait voulu manifester avec eux !  » Il y a des choses qu’une future reine ne peut pas se permettre « , lui rabâchait alors sa mère. Secrètement, elle avait jubilé, l’année passée, quand Adélaïde Charlier avait été nommée ministre de l’Environnement. Ce plan climat avait été sa première mesure. Investir dans une production annuelle nationale de 104 gigawatts d’énergie verte, pour atteindre le zéro carbone d’ici à 2050. Rien qu’en éoliennes, ça signifiait en installer 280 par an. Plus le choix, de toute façon. La fermeture des dernières centrales nucléaires est annoncée dans deux ans.

Elisabeth se demande si Adélaïde Charlier reçoit, elle aussi, son lot d’e-mails rageurs. Ou s’insurgeant qu’elle porte la même veste à deux représentations officielles. Que devrait-elle faire pour que les gens se concentrent sur ses actions, plutôt que sur ses vêtements ? Résoudre une troisième crise politique majeure ? Elle ne s’était jamais sentie féministe, peut-être parce que, jusque-là, elle n’avait jamais ressenti personnellement les inégalités. Mais elle avait fini par le devenir, en se retrouvant au premier plan de l’impitoyable actualité. Puis, à force de suivre les débats législatifs qui s’étaient succédé au Parlement. Le congé de paternité équivalent à celui de maternité, la gratuité des protections hygiéniques, le remboursement des nouveaux contraceptifs pour hommes, l’obligation pour les partis de prévoir la parité au niveau de leurs têtes de liste électorales… Rien qu’en une élection, le nombre d’élues était passé d’environ 40 à plus de 45 %, selon les niveaux de pouvoir. Lents progrès, mais progrès quand même.

Elisabeth ouvre la revue de presse. Tous les sites d’info titrent sur cette intoxication massive à la viande in vitro touchant des milliers d’élèves. Le programme pilote pour inciter les cantines scolaires à ne plus proposer de  » vraie  » viande qu’un jour par semaine allait avoir du plomb dans l’aile… Déjà que faire ingurgiter un steak de labo aux gosses choquait encore beaucoup de parents, alors en plus s’ils se mettaient à vomir leurs tripes !

La seule fois où elle avait fait servir un faux-filet in vitro à un dîner officiel du Palais, les convives l’avaient dégusté l’air crispé. La pollution des vaches qui flatulent, les risques avérés de cancer liés à la surconsommation de viande rouge, le désastre écologique de l’élevage intensif de bétail… Tout le monde se mettait d’accord là-dessus. Mais personne n’était prêt à drastiquement restreindre sa dose d’entrecôtes et de pilons. Ces dix dernières années, la consommation quotidienne de viande avait tout de même baissé, d’environ 20 %. Loin des 50% préconisés par les instances officielles. Lorsqu’elle était étudiante en secondaire, dans ce collège du pays de Galles, elle se souvient avoir lu, dans un cours, que plus de la moitié de l’humanité souffrirait en 2030 d’au moins un type de malnutrition, liée à la sous-alimentation ou à la malbouffe.  » A moins de prendre des mesures urgentes et efficaces.  » Tu parles. Nous y voilà : les obèses sont devenus plus gros et les affamés ont encore maigri. Les bobos ont continué à manger agro-bio-éco, les défavorisés ont continué à ne pas pouvoir se le payer.

 » Majesté, le Premier ministre Georges-Louis Bouchez est arrivé. Il vous attend dans le petit salon pour votre entretien hebdomadaire.  » C’est certain, il allait encore lui parler de la crise des robots. Les syndicats manifestent depuis des semaines, pour dénoncer ces entreprises qui recourent massivement à l’intelligence artificielle. Un bureau de consultance qui, en 2019, tablait sur la substitution de 20 millions d’emplois dans le monde par des robots d’ici à 2030 venait de refaire l’exercice et de démontrer que le remplacement s’était plutôt élevé à 30 millions. Pas seulement pour une raison de coûts de la main-d’oeuvre, mais aussi à cause du vieillissement de la population. Impossibilité d’embaucher de jeunes travailleurs peu qualifiés, répétaient les employeurs. Rappelant que la société belge comptait désormais davantage de 67 ans et plus que de moins de 17 ans. Les robots, au moins, n’envoient pas de lettres d’insultes, songea-t-elle… Pas encore.

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