© Wided Bouchrika

« La maltraitance dans les orphelinats marocains est monnaie courante »

Le Vif

Suite et fin de notre trilogie qui propose une plongée dans un Maroc bien loin des plages, du soleil et des palmiers. Aujourd’hui : les orphelinats.

La procédure d’adoption prend un an au Maroc. Cela peut sembler merveilleusement court pour tous ceux qui restent embourbés dans des procédures longues de cinq ans. Sauf que tout n’est pas si simple. La première condition est que les enfants doivent être élevés dans les préceptes de l’islam. Une condition qui fut régulièrement contournée. Notamment par des femmes espagnoles qui se convertissaient rapidement pour pouvoir adopter et qui une fois de retour au pays élevaient l’enfant dans la religion catholique. Pour empêcher cela, les autorités marocaines ont promulgué une loi en septembre 2012 pour renforcer les restrictions. Depuis pour pouvoir adopter au Maroc, il faut être marocain. Une procédure qui était jusqu’à présent assez souple existait entre la Flandre et le Maroc. Sauf que celle-ci est désormais suspendue dans l’attente d’un jugement. En effet au Maroc on ne connait pas l’adoption, mais bien la kafala. C’est une procédure d’adoption qui interdit l’adoption plénière. Il s’agit en réalité d’une tutelle sans filiation. Si un enfant marocain est adopté, la kafala doit être transposée en adoption telle que légalement admise en Belgique. Si ce n’est pas le cas, les droits parentaux reviendraient à l’état et non plus aux parents adoptifs.

Cette procédure se réalisait sans encombre jusqu’à ce qu’un juge de la jeunesse à Termonde a fait appel de cette procédure. L’affaire est désormais dans les mains de la Cour de cassation et l’arrêt sera rendu au plus tôt à la fin de cet été. Si le jugement est négatif, cela fera jurisprudence pour toute la Belgique et risque de mettre un terme à l’adoption d’enfants marocains en Belgique.

Quelques questions sur les conditions de vie dans les orphelinats marocains à Annelies De Prest, responsable de Ray of Hope, une association qui facilite les adoptions au Maroc pour des familles flamandes.

Des adultes dans des orphelinats

« Les mères célibataires qui sont rejetées par la société abandonnent souvent leur bébé. Un juge le place alors dans un orphelinat. On voit tout de suite lorsqu’un enfant n’a pas de père, car lorsque le père est inconnu, la mère remplit dans l’acte de naissance un nom qui commence par ‘Abd’ (ce qui signifie serviteur de). À côté de cela on appose le nom de famille choisi. » précise Annelies De Prest.

Est-ce que les orphelinats ont les capacités de gérer un tel afflux d’enfants?

De Prest: « Il y a beaucoup d’orphelinats au Maroc. Le problème, c’est que dans de nombreux cas, ils sont surpeuplés puisqu’ils ne sont pas ouverts à l’adoption à l’étranger. Et s’ils le sont, il est difficile de placer des enfants avec des règles tellement strictes. Beaucoup d’enfants restent donc dans ces institutions jusqu’à l’âge adulte. Ceux-ci n’auront jamais d’éducation normale ou ne connaîtront la chaleur d’un foyer. Ce sont ces enfants et adolescents qui seront les plus fragiles et qui risquent de tomber dans la prostitution. Par ailleurs, les maltraitances au sein de ces orphelinats sont nombreuses. Tous les orphelinats n’admettent pourtant pas l’existence de cette problématique et nombreux sont ceux à préférer taire le sujet. »

La situation dans ces orphelinats ne rend-elle plus difficile l’insertion d’un orphelin marocain au sein d’une famille belge ?

De Prest: « Non, car les parents adoptent généralement un enfant d’un an ou deux. Ces enfants viennent d’orphelinat où la limite d’âge est de 3 ans. Les enfants de plus 5 ans sont redirigés vers des orphelinats où il arrive qu’ils soient placés avec des adolescents de 18 ans. C’est dans ces institutions que l’on rencontre la majorité des problèmes d’abus sexuels. »

Qu’advient-il des enfants qui ne sont jamais adoptés ?

De Prest: « Alors qu’ils ne connaissent rien d’autre que l’orphelinat, ils sont éjectés à l’âge de 6,7 ou 18 ans. Cela n’a donc rien de surprenant que ces enfants atterrissent dans la rue ou la prostitution. Seuls les plus chanceux sont accueillis dans les quelques orphelinats de qualité ou les villages SOS enfants. Ceux-ci imitent de façon plus crédible un semblable de situation familiale. Ils travaillent en petit groupe et avec des éducateurs répartis dans chaque maison à la manière d’un village. Les enfants sont accueillis et suivis alors que dans un orphelinat classique tous les âges sont mélangés et il n’y a que quelques éducateurs pour des centaines d’enfants. Souvent ces institutions n’ont d’autres choix puisqu’ils ne peuvent pas compter sur des aides de l’état inexistantes et qu’ils fonctionnent principalement sur base de bénévolat. Devant un tel constat, il est urgent que les autorités marocaines trouvent des solutions structurelles comme faciliter les procédures d’adoptions. Cela permettrait à plus d’enfants d’être aidés. »

Wided Bouchrika/ Trad ML

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