Donald Trump © REUTERS

La lutte en coulisse contre Donald Trump et ses délégués

Rudi Rotthier
Rudi Rotthier Journaliste Knack.be

On ignore encore comment se termineront les primaires républicaines, mais en coulisse se profile une lutte acharnée contre les délégués de Trump.

Il est difficile d’exagérer la consternation auprès de l’appareil du parti républicain. Depuis le président Ronald Reagan, une espèce d’orthodoxie incontestée s’est installée. Pour améliorer le sort du pays, il fallait des impôts plus bas (qui enrichiraient les riches qui à leur tour dépenseraient leurs richesses et enrichiraient le pays), des indemnités plus faibles (qui obligeraient les gens à se débrouiller), et une défense forte. L’état était un animal qu’il fallait affamer et qu’on pouvait très bien laissé mourir. Cette philosophie était à ce point dominante que même le démocrate Bill Clinton l’a reprise jusqu’à un certain point. Le Tea Party, né au début du premier mandat d’Obama en réaction au sauvetage des banques, était considéré comme l’avant-garde de cette orthodoxie.

Avec Donald Trump, les orthodoxes en voient de toutes les couleurs – ce qui n’est pas fait pour les réjouir. Trump, dans la mesure où il croit fermement à quelque chose, souhaite un état fort, se prononce pour le maintien d’indemnités, s’oppose au marché libre et à la migration (illégale) et défend les frontières surveillées. En principe, il défend les impôts plus élevés pour les gros salaires, même si d’une manière ou d’une autre, cela n’a pas filtré dans le projet qu’il a fait mettre sur son site, et il aime, comme il l’a proclamé récemment, les gens peu qualifiés. « I love the poorly educated ».

Il ne s’agit pas d’un écart léger. Trump, qui a bouleversé l’orthodoxie, est soutenu par une grande partie du Tea Party. Malgré ses contradictions et ses invraisemblances, Trump est bien parti pour remporter la nomination pour les élections présidentielles.

Jeudi, les républicains éminents se sont réunis en secret à Washington pour accorder leurs violons, discuter d’alternatives et partager leur désespoir. Pour un certain nombre d’entre eux, le degré de désespoir est tel qu’ils n’hésiteraient pas à faire sauter le parti.

L’élite n’est pas la seule à s’opposer à Trump. À en croire des sondages de sorties des urnes, 40% des électeurs républicains envisageraient un vote pour un troisième candidat s’ils devaient choisir entre Trump et Hillary Clinton. Comme l’a indiqué Romney, ceux qui ne veulent rien à voir avec Trump ont suffisamment de raisons : son flirt avec la violence, ses propositions d’exclure les musulmans et les Mexicains, de changer les lois de sorte que ce qui est considéré aujourd’hui comme de la torture, ne le soit plus, le fait qu’il ne propose pas de projets concrets et se contredit en permanence, ses menaces contre les journalistes et sa proposition d’entraver la liberté de la presse, son boycot d’organes de presse qui ne lui plaisent pas et sa lutte obsessionnelle contre la journaliste de Fox Megyn Kelly qu’il a traitée de « malade » et de « folle ».

Cinquante pour cent des électeurs féminins éprouvent une aversion marquée pour Trump, et parmi les minorités, c’est encore pire. 60% de l’électorat se méfient de lui – en ce point il a dépassé Clinton, dont 53% des électeurs se méfient.

Cependant, Trump caracole en tête dans les sondages. D’après ses adversaires, ce n’est possible que parce qu’il bénéficie d’autant de publicité gratuite, qu’il arrive à convaincre des gens qui ne sont pas membres du parti de voter républicain, et que le grand nombre de candidats a divisé le parti. Le fait est que jusqu’à présent il a obtenu deux millions de voix de plus que Ted Cruz et pas beaucoup de moins de voix qu’Hillary Clinton qui n’a qu’un adversaire. En plus, les électeurs ne sont pas ignorants. Pendant la période avant le dernier Super Tuesday, Marco Rubio et son Supercap auraient envoyé pour 35 millions de dollars d’annonces anti-Trump. Trump a remporté plus de centaines de milliers de voix que Rubio dans son état natal, la Floride, alors que, comme il l’a expliqué, l’émission de son propre tournoi de golf a été interrompue par de la pub anti-Trump.

Opposition

À présent, il y a trois possibilités: soit les orthodoxes et les dégoûtés se pincent le nez et se rangent derrière le candidat qui bouleverse leur monde – dans l’espoir ou non qu’il perde contre Hillary. Soit, et la réunion secrète n’a manifestement pas réussi à les mettre d’accord sur ce point, ils cherchent un candidat alternatif, qui participe comme indépendant aux élections présidentielles et offre quasiment la victoire à Clinton. Soit – mais c’est possible uniquement si Trump n’atteint pas les 1 237 délégués exigés – on essaie d’organiser une révolution de palais. Dans ce cas, il faut commencer par former une coalition contre Trump dans tous les états. Peut-être, et c’est également une suggestion formulée par la réunion secrète, en formant un duo entre Cruz et John Kasich. Le premier serait candidat à la présidence, le second candidat à la vice-présidence.

À eux deux, les deux adversaires restants de Trump ont un tout petit peu plus de voix que l’homme d’affaires. Jusqu’à présent, 7.542.328 électeurs ont voté pour Trump. Cruz a obtenu 5.481.374 voix et Kasisch 2.725.754. Leur argumentation est la suivante : nous n’allons pas à l’encontre de la démocratie si nos candidats comptent plus d’électeurs en duo. La faiblesse de ce raisonnement, c’est que personne n’a voté pour le duo, parce que jusqu’ici il n’y a pas de duo.

L’obtention de la majorité par Trump se jouera sur un fil, dont on ne connaîtra probablement l’issue qu’en juin, quand la Californie votera. En Californie, où il y a 172 délégués en jeu, il y a un système ‘winner takes most’ où tous les délégués vont au gagnant par district. Dans les sondages généraux, Trump est en tête en Californie, mais dans les districts où il y a beaucoup de latinos, il se pourrait bien que Cruz ou au besoin Kasich le dépasse.

Faux jetons et transfuges

Les candidats n’attendront pas sagement le 7 juin. Dans l’intervalle, il faut intervenir à plusieurs niveaux. À en croire The New York Times, Ted Cruz a 6 employés à temps plein chargés notamment d’assurer un maximum de délégués convertibles à Trump – des délégués de Trump qui choisiront un autre candidat. Trump vient également de nommer quatre personnes qui doivent faire en sorte que les délégués désignés soient des proches ou au moins des fans de Trump.

Beaucoup de ténors du parti ne veulent pas de Trump, écrit The Week. « Je les ai prévenus », déclare le président de parti d’un état. « Peut-être qu’il est trop tard ». La méfiance locale contre Trump, due notamment au fait que les mandataires locaux craignent leur réélection soit compromise, peut entraîner l’attribution de nombreux délégués ayant une autre préférence à Trump.

Les états diffèrent également sur le plan de la fidélité aux états. Dans certains états, les délégués doivent rester fidèles à leur candidat pendant trois tours, mais généralement ils ne sont liés qu’au premier tour. Il est possible qu’au premier tour les délégués soient inopinément malades ou qu’ils déclarent forfait, ou qu’ils abandonnent leur candidat dès le deuxième tour. C’est là l’espoir du groupe du « jamais Trump » parmi les républicains. Qu’il n’obtienne pas de majorité absolue au premier tour et que ses délégués le laissent tomber en masse au deuxième tour.

Il y a un deuxième point d’imprécision: les règles de la convention du parti sont fixées un peu avant par un comité – ce comité se compose plutôt de fidèles au parti que de fans de Trump, à moins que Trump ne parvienne à s’infiltrer. Un des membres a déjà fait savoir qu’il proposera d’admettre tous les candidats présidentiels pourvus de délégués, y compris ceux qui ont jeté l’éponge, pour les prochains scrutins. Il y en a 8 : les trois candidats restants plus Marco Rubio, Ben Carson, Jeb Bush, Carly Fiorina, Mike Huckabee et Rand Paul.

Autre problème: qu’adviendra-t-il des délégués des candidats qui ont jeté l’éponge? Marco Rubio en compte 169, qui, à moins qu’il ne les libère, lui sont principalement acquis. D’après The National Review, 5 lui ont été pris directement, car l’Alaska redistribue lui-même les délégués quand un candidat abandonne. Comme cinq états les délégués sont libres, on fait déjà pression pour piquer les 29 délégués remportés par Rubio dans le New Hampshire, l’Arkansas, le Minnesota, la Géorgie et le Wyoming.

L’opposition contre Trump a quelque chose de très contre-productif et de malhabile, que ce soient les manifestants ou les membres du parti qui magouillent. Si la réunion a été tenue en secret, c’était peut-être pour dissimuler que la véritable direction du parti ne soit pas venue. Mais plus on apprend ce qui s’est dit à la réunion, plus les adeptes de Trump ont l’impression que le parti ne leur souhaite pas la victoire. Et c’est ainsi que le parti illustre ce que dit Trump : qu’il est vendu aux intérêts économiques et que c’est pour cette raison qu’il foule les intérêts des électeurs aux pieds.

C’est même ce que déclare The Washington Post qui dans son éditorial a appelé les républicains qui se respectent à sauver la démocratie en se montrant peu regardant. « Le respect de la démocratie exige-t-il que le parti républicain désigne le leader ? En fait, non. Nous ne souhaitons pas briser les règles, mais nous voulons les utiliser au maximum – pour forcer une convention ouverte et nommer un candidat conservateur qui respecte la constitution ou pour battre monsieur Trump d’une autre façon. Si monsieur Trump attire 40% des républicains, qui représentent environ un quart des Américains, il a 10% de la population derrière lui – ce qui n’est pas une grande légitimité ».

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