La leader de Fratelli d’Italia, Giorgia Meloni, en tête dans les sondages d’intentions de vote, est prête à prendre la relève de Mario Draghi comme cheffe du gouvernement. © getty images

La droite en embuscade en Italie

Silvia Benedetti Correspondance en Italie

Giorgia Meloni, du parti de droite radicale Fratelli d’Italia, et Silvio Berlusconi, de Forza Italia, se sentent pousser des ailes après la démission du Premier ministre Mario Draghi et la convocation d’élections en septembre.

Le gouvernement d’unité nationale de Mario Draghi a pu résister un an, cinq mois et huit jours. Une crise politique inédite et inattendue, difficilement comprise et acceptée par nombre d’Italiens et de partenaires internationaux de la Péninsule, a mis fin au miraculeux équilibre que l’ancien patron de la Banque centrale européenne (BCE) avait réussi à créer. Appelé à gérer les affaires courantes jusqu’aux élections anticipées, prévues le 25 septembre prochain, le président du Conseil avait pourtant pressenti, quelques jours avant le dernier vote de confiance au Sénat, la trahison à venir d’une partie de sa majorité.

Au cours d’un dîner convivial avec les membres de l’association de la presse étrangère basés à Rome, Mario Draghi, avec une ironie inhabituelle, avait avoué que «l’état de grâce» ainsi que la magie, qui avaient caractérisé les premiers mois de son aventure gouvernementale, n’ étaient plus. Son «exécutif des meilleurs» a ainsi succombé sous le feu croisé de trois partis au pouvoir à ses côtés: le Mouvement 5 étoiles (M5S), un parti antisystème aujourd’hui au bord de l’implosion, la Ligue de Matteo Salvini et le parti Forza Italia, la créature politique de Berlusconi. Trois formations qui, selon les sondages, perdaient, depuis des mois, consensus et électeurs.

Au cours de cette très brève «campagne électorale balnéaire», tous les coups seront probablement permis.

La conscience tranquille

C’est avec un sourire triste, mais aussi vaguement soulagé, que Mario Draghi a pris acte, après le refus des sénateurs de ces trois partis de lui accorder leur confiance, de l’éclatement de sa majorité et de la fin de son «supplice de Sisyphe». La presse italienne a comparé le Premier ministre à ce personnage de la mythologie grecque contraint, pour expier ses fautes, à pousser une énorme pierre au sommet d’une montagne, d’où elle finissait immanquablement par retomber. Garantir la cohésion et la stabilité d’une majorité aussi hétéroclite et belliqueuse, tout en lançant une série de réformes structurelles extrêmement clivantes, était, en effet, devenu un exercice exténuant, voué à l’échec.

Mario Draghi quitte le pouvoir avec le sentiment d’une mission inachevée mais avec la conscience tranquille. «L’ année dernière, notre PIB a augmenté de 6,6%. Nous avons déjà reçu 45,9 milliards d’euros de la part de la Commission européenne, auxquels s’ ajouteront, au cours des prochaines semaines, 21 milliards d’euros supplémentaires», a-t-il rappelé lors de son dernier discours au Parlement.

La responsabilité de l’échec

Toutefois, Draghi laisse derrière lui un paysage politique dévasté. Depuis sa démission, présentée au chef de l’Etat, Sergio Mattarella, le 21 juillet, tous les partis ayant décidé de rompre «le pacte d’unité nationale» à la base de l’exécutif essaient de se libérer du poids de la responsabilité de cette tempête politique, en accusant anciens alliés ou adversaires de toujours.

Silvio Berlusconi, que ses collaborateurs décrivent «hyperactif comme un grillon» après l’éclatement de la crise, a même été jusqu’à dire que personne au Parlement n’avait réclamé la tête de Draghi, et que son départ n’était dû qu’aux fatigues physique et mentale accumulées par ce dernier au cours des dix-sept mois à la tête du pays. Un mal qui ne semble pas toucher le Cavaliere, prêt, selon les rumeurs, à occuper le poste bientôt vacant à la présidence du Conseil.

Le M5S, accusé d’avoir allumé la mèche à l’origine de cet incendie institutionnel, continue à attaquer le Premier ministre en lui attribuant directement la responsabilité de l’effondrement de sa majorité. «Le M5S n’avait fait que présenter neuf requêtes au président du Conseil. Et comment répond-il? Il présente sa démission! Sommes-nous dans une démocratie parlementaire ou une monarchie absolue?», a déclaré, sarcastique, Danilo Toninelli, sénateur du Mouvement 5 étoiles.

Les divisions du centre-gauche

C’est dans cette atmosphère crépusculaire que les grandes manœuvres politiques ont commencé dans la Péninsule en vue du prochain scrutin. Au cours de cette très brève «campagne électorale balnéaire», tous les coups seront probablement permis. Or, selon les derniers sondages, la coalition des droites – composée de la Ligue, Forza Italia et du parti de la droite radicale, Fratelli d’Italia, dirigé d’une main de fer par Giorgia Meloni –, pourrait remporter les élections. Un scénario catastrophe pour les formations du centre-gauche, comme le Parti démocrate (PD) d’Enrico Letta, qui ont fébrilement œuvré à sauver «le soldat Draghi» des ultimatums, menaces et veto croisés formulés par ses alliés-adversaires. «Il faut le dire haut et fort: ceux qui ont joué un rôle de protagonistes dans la chute du gouvernement ne pourront plus demeurer les interlocuteurs du Parti démocrate», a déclaré Lorenzo Guerini, ministre de la Défense, en exigeant la rupture totale avec les représentants du M5S, pendant longtemps alliés du PD.

Face aux divisions qui déchirent la désormais fragile coalition du centre-gauche, que l’ancien Premier ministre Matteo Renzi a rebaptisée «le pôle du bon sens», les partis de droite se frottent joyeusement les mains. Giorgia Meloni, en tête dans tous les sondages d’intentions de vote, a annoncé qu’elle était prête à prendre la relève de Draghi, au palais Chigi. Silvio Berlusconi a concocté un programme électoral en huit points, qui prévoit une augmentation des retraites et la plantation, chaque année, d’un million d’arbres. Matteo Salvini, quant à lui, rêve de retrouver les militants perdus, alors que certains de ses députés, sensibles à l’humeur d’une partie significative du pays, promettent l’abolition définitive du pass sanitaire et la réintégration des soignants non vaccinés suspendus pendant la pandémie.

Autant de candidats qui, en ces soixante jours qui séparent la Péninsule du retour aux urnes, souffleront sur les braises d’un mécontentement populaire inédit et sur les peurs secrètes d’une opinion publique de plus en plus perdue et désenchantée.

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