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La crise humanitaire au Yémen a atteint un point critique

Katya Bohdan
Katya Bohdan Journaliste free-lance pour Knack

Autrefois, le Yémen était un pays fertile et prospère. À présent, c’est le pays le plus pauvre du monde arabe. Il est déchiré par une guerre civile et subit la plus grande crise humanitaire du monde. Reportage sur place.

La guerre pèse sur les soins de santé et l’infrastructure au Yémen. L’Organisation mondiale de la santé craint que le système de santé ne s’effondre, et les Nations-Unies redoutent la plus grande famine que le monde ait connue en plusieurs décennies.

Selon les chiffres officiels de l’UNICEF, plus de vingt millions de personnes ont besoin d’aide humanitaire. Huit millions de personnes souffrent de la faim. Deux millions d’enfants ne peuvent aller à l’école et un demi-million n’y va plus depuis que le conflit a dégénéré en 2015.

L’un des plus grands problèmes, c’est le choléra. L’année dernière, le Yémen a connu la pire épidémie de choléra de l’histoire moderne. En décembre 2017, il y a eu un million de cas enregistrés. Ce nombre a légèrement diminué, mais on craint une troisième émergence du choléra en avril 2018.

Entre-temps, la guerre au Yémen dure depuis quatre ans, et l’issue semble loin. Elle a commencé lorsque les rebelles houthis du nord du pays ont envahi la capitale Sanaa et ont chassé le président actuel Abdrabbo Mansour Hadi de la ville.

Une coalition dirigée par l’Arabie saoudite a soutenu le président à coup d’attaques aériennes. La capitale intérimaire actuelle est Aden, mais Hadi et son gouvernement ont été exilés à Riyad en Arabie saoudite. Les houthis occupent presque tout le Yémen du Nord. Mais au Yémen du Sud, la situation est encore plus complexe.

Il existe des tensions mutuelles au sein de la coalition. Les Émirats arabes unis soutiennent les séparatistes du sud qui veulent faire du Sud-Yémen un état indépendant. Ces séparatistes luttent contre les forces armées d’Hadi avec le soutien des Émirats arabes unis.

Pour l’instant, le drapeau du Sud-Yémen flotte sur presque tous les bâtiments publics d’Aden. À côté des séparatistes et du gouvernement international reconnu d’Hadi, Al Qaeda et l’IE ont également une présence considérable au Sud-Yémen. Les salafistes et les Frères musulmans également. C’est une guerre extrêmement compliquée, ce qui rend les négociations de paix presque impossibles.

Troisième vague de choléra

Le département de l’hôpital public Sadaka à Aden qui traite les épidémies est ancien et en piteux état. Il se compose d’un petit bâtiment construit dans les années 70 et de quelques conteneurs prévus par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) lors de la première vague de choléra fin 2016.

Pour l’instant, il n’y a pas de cas de choléra, mais des patients atteints de rougeole, et de diphtérie, de maladies dont il n’avait plus entendu parler depuis des dizaines d’années au Yémen.

Le docteur Magdi Seif travaille bénévolement. Tous les médecins et infirmiers de cette partie isolée de l’hôpital travaillent gratuitement. L’état n’est pas capable de pourvoir l’hôpital des médicaments et vaccins nécessaires. Il peut uniquement compter sur l’aide des ONG internationales, qui vu la situation fragile au Yémen, ont du mal à apporter de l’aide à temps.

Les vaccins sont chers, de nombreuses régions isolées sont pratiquement inaccessibles et ne disposent pas d’hôpitaux ou d’autres facilités de soins.

Une méfiance partiellement culturelle vis-à-vis des vaccins pèse également sur la santé des Yéménites, et la situation a empiré depuis la guerre.

« Avant la guerre, les gens étaient conscients de l’importance des vaccins, mais depuis que la guerre a éclaté, les gens n’ont plus confiance », explique le docteur Seif. « Il n’y a pas d’état, et il n’y a personne qui surveille les soins médicaux. Les gens craignent qu’on leur injecte autre chose, ou que les vaccins soient périmés ».

Le docteur Seif craint une troisième vague de choléra. « L’été arrive. Il n’y a pas de reconstruction du réseau d’égouts, et il y a des déchets partout. Nous nous attendons donc à ce que la maladie se propage à nouveau », dit-il.

À la demande si l’hôpital est préparé à une troisième vague, il répond : « Tout est resté pareil, comme lors des deux premières vagues. Nous n’avons pas de nouvelles chambres, pas de nouveaux équipements, pas de nouveau matériel. Même si nous en recevions, je crains que cela ne suffise pas ».

Il craint également que la troisième vague de choléra soit pire que les deux premières. Trois millions d’enfants sont nés depuis l’éclatement de la guerre. Il est impossible de citer un pourcentage, mais une grande partie ne pourra pas être vaccinée, suite aux soins médicaux inexistants dans de nombreuses régions isolées et le manque criant dans les zones urbaines.

Lors des deux vagues précédentes, l’hôpital devait accueillir jusqu’à parfois trois cents malades par jour. Le petit bâtiment en pierre et les quelques conteneurs n’étaient pas prévus pour ça.

Les gens étaient couchés par terre dans les couloirs dans des facilités improvisées sans air conditionné. D’autres étaient sous les arbres dans une chaleur de parfois 50 degrés.

Et le choléra n’est pas le seul problème. Il y a aussi la diphtérie et la rougeole. L’hôpital accueille une moyenne de sept cas de rougeole par jour, et un cas de diphtérie par semaine.

L’Organisation mondiale de la santé tente de vacciner un maximum de personnes contre la diphtérie, dans tout le pays septante personnes sont décédées de la maladie. Le blocage de la coalition internationale dirigée par l’Arabie saoudite complique l’entrée dans le pays des équipements médicaux et vaccins nécessaires.

Sous-alimentation

Le manque criant de vaccinations n’est qu’un des nombreux problèmes auxquels est confronté le Yémen. La sous-alimentation aiguë est une question urgente.

Tous les mois, l’hôpital public est confronté à environ vingt cas de sous-alimentation aiguë, toujours d’enfants de moins de deux ans.

Le riyal yéménite a énormément baissé de valeur, augmentant les prix de 100 à 150%, alors que les salaires des gens sont restés les mêmes. La population vit dans la pauvreté, et l’incertitude alimentaire règne.

Beaucoup de familles ont réduit leur consommation de nourriture: de trois repas par jour à deux, et beaucoup même à un repas par jour. Et la qualité de leur nourriture est mauvaise. « Je connais des ménages qui vivent de biscuits et de yaourt », déclare Saifeldin Nemir, qui est à la tête d’UNICEF à Aden.

Les médicaments coûtent également très cher. « Il n’y a pas de tutelle administrative », raconte Habib Abdo, un pharmacien. « Suite à l’instabilité de la monnaie, les entreprises pharmaceutiques peuvent parfois cesser la vente de médicaments pendant deux semaines et attendre un moment où ils peuvent engranger plus de bénéfices. Les impôts sur l’importation de médicaments ont augmenté de 20% depuis que la guerre a commencé. C’est pourquoi les médicaments sont si chers. »

Les équipements et les soins médicaux sont tout simplement inexistants au Yémen. Les personnes qui ont besoin d’aide médicale urgente ne peuvent en bénéficier, ce qui entraîne des chiffres de mortalité élevée, surtout parmi les nouveau-nés, et beaucoup de fausses couches.

Les chances de paix au Yémen s’amenuisent et le coût de cet échec sera immense. Le pays le plus pauvre du monde arabe est au bord de l’effondrement total.

La guerre au Yémen devient de plus en plus sanglante, complexe et destructrice, alors que l’Occident livre de plus en plus d’armes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, les deux plus grandes parties impliquées dans ce conflit.

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