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La crainte d’une contagion du chaos soudanais

Le Vif

L’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis se sont résignés à la chute du président soudanais Omar el-Béchir, mais craignent désormais une descente aux enfers du pays qui déstabiliserait la Corne de l’Afrique et nuirait à leurs intérêts.

« Ces dernières années, le Soudan est devenu plus important stratégiquement pour les Etats du Golfe, et la chute de Béchir est donc par définition un moment charnière », souligne Elizabeth Dickinson de l’International Crisis Group (ICG).

Andreas Krieg du King’s College à Londres abonde dans ce sens en faisant état d’une période « d’incertitude » pour les monarchies pétrolières.

Après plusieurs jours de silence, le royaume saoudien et son allié émirati ont réagi prudemment dimanche, au nom de la « stabilité », au départ de Béchir qui a été écarté par l’armée soudanaise sous la pression de la rue.

De son côté, le Qatar, qu’un grave différend oppose depuis près de deux ans à ses voisins saoudien et émirati et qui a eu une certaine influence sur le régime de Béchir avant que celui-ci ne se rapproche de Ryad, observe un silence gêné.

D’autant que le nouvel homme fort du Soudan, le général Abdel Fattah al-Burhane, « semble plus enclin que d’autres à accepter la politique émiratie de tolérance zéro vis-à-vis de l’islam politique » défendue par le Qatar, relève Andreas Krieg.

Dans des termes soigneusement choisis, l’Arabie saoudite et les Emirats ont dit leur « soutien au peuple soudanais », exprimé l’espoir d’une « transition pacifique » et formulé de vagues promesses d’aide au pays qui s’enfonce chaque jour un peu plus dans un chaos économique.

Karim Bitar, de l’Institut de relations internationales et stratégiques, rappelle que « l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis sont par nature réfractaires à tout mouvement de révolte populaire ».

« Ce sont des puissances qui privilégient plutôt le statu quo. Elles craignent que toute effervescence et tout mouvement de protestation nationale ne finissent par faire tâche d’huile et qu’il y ait un effet de contagion », explique-t-il à l’AFP.

– « Changement inévitable » –

Selon lui, « les Etats du Golfe regardent avec appréhension ce qui se passe au Soudan et vont faire tout leur possible pour que la transition se fasse dans la continuité, c’est-à-dire que le Soudan reste sous la coupe de l’armée ».

« Les Etats du Golfe ne veulent pas d’un transfert de pouvoir violent. Ils ne veulent pas d’une autre tragédie comme en Libye, Syrie ou Irak et le seul moyen est un transfert pacifique du pouvoir », souligne aussi Mustafa Alani, du Gulf Research Center.

Ryad et Abou Dhabi sont arrivés à la conclusion qu’au Soudan comme en Algérie, « le changement est devenu inévitable » et il vaut mieux selon eux que le processus soit supervisé par les militaires, ajoute-t-il.

L’Arabie saoudite et les Emirats sont allergiques aux bouleversements incontrôlés comme ceux qui ont plongé en 2011 la Libye dans le chaos ou abouti à la montée des Frères musulmans, leur « bête noire », en Egypte et, dans une moindre mesure, en Tunisie.

Ils n’ont pas hésité à s’engager militairement au Yémen voisin lorsque la transition a dérapé et permis aux rebelles Houthis, jugés proches de l’Iran, de s’emparer de larges portions du pays, dont la capitale Sanaa.

Dans la guerre du Yémen, ils ont obtenu sur le terrain le soutien de l’armée soudanaise, décidé par le président déchu Omar el-Béchir, dans le cadre de la coalition militaire sous commandement saoudien intervenant dans ce pays depuis 2015.

– « Transition maîtrisée » –

« Le Soudan touche à de nombreux intérêts vitaux des Etats du Golfe », souligne Elizabeth Dickinson de l’ICG.

« Il s’est révélé un allié clé pour l’Arabie saoudite contre l’influence iranienne dans la Corne de l’Afrique et Khartoum a fourni des troupes au Yémen ».

Ce pays est également « un acteur décisif dans un conflit entre l’Ethiopie et l’Egypte sur l’utilisation des eaux du Nil et pourrait constituer un élément pivot dans la future sécurité alimentaire dans le Golfe », ajoute l’analyste.

Selon elle, « l’un des objectifs des pays du Golfe est de maintenir la stabilité du Soudan, c’est-à-dire de préserver les institutions de l’Etat pendant la mise en oeuvre des réformes et de la transition ».

« Nous ne sommes pas dans le Golfe de 2011 quand ces pays étaient complètement allergiques à toute transition », souligne Mme Dickinson, selon qui, « compte-tenu de la grande fragilité de l’ensemble de la région (…) une transition maîtrisée pourrait être la meilleure façon d’aller de l’avant ».

Dans un communiqué publié vendredi, l’ICG a averti que si « le Soudan plonge dans le chaos, les désordres pourraient déborder les frontières ».

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