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Jeunes issus de l’immigration: « Il faut en finir avec l’idéologie victimaire »

Kleis Jager Het Financieele Dagblad

Les terroristes ne tombent pas du ciel. Ils sont le produit de l’islam radical, mais certainement aussi de notre propre laxisme, déclare le sociologue français Tarik Yildiz. « Tous les petits truands ne deviennent pas terroristes évidemment, mais tous les terroristes étaient d’abord des petits truands. »

Le grand problème de la banlieue, c’est la pauvreté et le manque de perspective dans une société qui rejette ce qui est étranger. C’est la raison pour laquelle les jeunes cherchent leur salut dans la criminalité, que le fanatisme religieux s’intensifie et qu’ils finissent parfois comme jihadistes. C’est en résumé, depuis la nuit des temps, l’explication la plus courante à l’état des quartiers défavorisés en Europe occidentale : les habitants sont de bonne volonté, mais tournent mal à cause des circonstances.

Il est grand temps de régler son compte à ce mythe tenace de victime, estime Tarik Yildiz (né en 1985). Yildiz a grandi dans la partie la plus tristement célèbre de France, le département de Seine-Saint-Denis. « La petite criminalité et le terrorisme », explique-t-il à notre confrère de Knack « n’ont rien à avoir avec le manque d’argent, l’absence de perspective ou la discrimination. »

Mais la vie en banlieue n’est pas simple?

Tarik Yildiz: (Montre par la fenêtre): Imaginons, une main géante dépose la tour résidentielle de ma jeunesse ici. Ensuite, on la remplit d’habitants de la partie de Paris où nous nous trouvons. Que se passe-t-il alors ? Rien, évidemment, le quartier n’en deviendra pas dangereux. Il ne s’agit pas des appartements, mais des gens qui y habitent.

Faut-il avoir grandi dans un tel quartier pour le comprendre?

Je ne prétendrai jamais ça, tout chercheur sérieux peut le constater. Et tout le monde peut comprendre que le racisme existe dans un pays comme la Belgique ou la France, mais que ce n’est pas systématique. Il n’y a pas de politique d’entreprises ou de l’État pour exclure les immigrants et leurs enfants. Ce n’est pas difficile non plus de voir que les parents de la deuxième et troisième génération d’allochtones étaient beaucoup plus pauvres. Leur vie dans les usines était pénible, mais ils ne se plaignaient pas.

Pensez-vous que vos voisins de quartier étaient discriminés?

Non, j’ai compris rapidement que le discours de discrimination était inexact. Plus tard, j’ai étudié la question, notamment dans le cadre d’un livre pour lequel j’ai interviewé une centaine de musulmans dont la moitié avait un passé criminel (Qui sont-ils? Enquête sur les jeunes musulmans de France, NDLR). Je leur ai demandé s’ils avaient vécu le racisme. Je n’ai jamais eu de réponse claire. Pas un exemple précis dans toutes ces conversations ! Ils répétaient presque tous les clichés qu’ils ont entendus toute leur vie dans les médias, à l’école, et des activistes anti-racisme : « le racisme est partout, si vous êtes né avec le mauvais nom, et que vous habitez le mauvais quartier, alors ils ne veulent pas de vous ». La répétition de ce genre de généralités sert surtout à légitimer les pratiques illégales, car celui qui se persuade que le délit est une sorte d’opposition à l’injustice souffre moins d’une mauvaise conscience.

D’après le président Emmanuel Macron, les habitants de quartiers défavorisés ont deux fois moins de chances d’être invités à un entretien d’embauche. Avec le même diplôme.

Pourtant ce n’est pas vrai. Il y a eu différentes études – tels que des sondages avec des CV anonymes – mais ces derniers n’ont pas abouti à des conclusions univoques. Aucun rapport n’a démontré sans équivoque qu’en cas d’aptitudes égales on a moins de chances de décrocher un emploi si l’on vient d’une cité ou d’un quartier défavorisé. Il est très dangereux de conforter quelqu’un en permanence dans l’idée qu’il est discriminé, il faut cesser ces jérémiades, car alors vous dites : vous avez toutes les raisons d’être en colère, c’est un scandale.

Pourquoi les politiciens continuent-ils à marteler à propos du préjudice causé par la discrimination ?

Certains croiront vraiment que structurellement les allochtones ont trop peu de chances, d’autres non. Mais ils veulent tous montrer qu’ils s’occuperont de solutions. Ils ne comprennent pas qu’entre-temps ils montent les habitants de la banlieue contre le pays qui leur offre toutes les possibilités imaginables.

Mettons: vous grandissez dans un environnement violent et vous ne voyez jamais rien d’autre.

Évidemment que c’est difficile. Mais quel est le rapport avec le fait qu’ils soient défavorisés? Je le répète: les problèmes des quartiers défavorisés ne découlent pas d’une inégalité de revenus ou d’un prétendu manque de chances. C’est une question de pauvreté culturelle.

Ce mois-ci, Macron a présenté des mesures pour les 1500 quartiers à problème de France. Cependant, il rejette la proposition d’un « plan Marshall » qui devrait coûter 45 milliards. À juste titre ?

Certainement. C’est très bien que Macron se distancie de toutes ces associations subventionnées et tous ces maires de banlieue qui demandent plus d’argent parce qu’ils ont une clientèle à entretenir. C’est dommage, mais il y a peu de gens qui ont de la personnalité au sein de la politique locale des banlieues. Ils sont fixés sur leur réélection et cèdent à des groupes musulmans qui, en échange de quelques centaines de voix, demandent une mosquée ou un foyer pour une « association culturelle ». Il est beaucoup moins positif que Macron annonce un ‘testing’ pour vérifier si les grandes entreprises ne discriminent pas lors de l’embauche. Sur ce point, il a malheureusement cédé. Il aurait dû dire : nous souhaitons assurer un meilleur enseignement, et plus de sécurité, mais à part ça c’est surtout à vous. Il n’a pas terminé son histoire, qui souligne davantage la responsabilité personnelle.

D’après vous, il est primordial de sévir durement contre la petite criminalité dans la lutte contre le terrorisme. Pourquoi ?

Parce que la criminalité et le terrorisme sont très étroitement liés. Tous les petits truands ne deviennent pas terroristes évidemment, mais tous les terroristes étaient d’abord de petits truands. Ces dernières années, pratiquement tous les auteurs d’attentats en France sont nés ici, et avaient une carrière dans la « petite » criminalité : vol à la tire, violences, trafic de drogue. Dans certains quartiers, ce sont des activités tout à fait normales. Cette criminalité exprime une culture de méfiance et d’hostilité contre l’État et ses institutions, telles que les écoles et la police. C’est « nous, les musulmans » contre « eux, les infidèles ». Cette hostilité alimente les carrières criminelles, mais aussi le terrorisme.

Vous pensez aux jeunes qui ont le profil de Salah Abdeslam?

Abdeslam fait partie de ce que j’appelle les « musulmans superficiels ». En théorie, ils trouvent la sharia magnifique : ils trouvent qu’il faut couper la main des voleurs, on n’est un véritable musulman que si on prie cinq fois par jour et toutes les femmes doivent porter le voile. Cependant, leur propre comportement retarde désespérément par rapport à toutes ces normes sévères, uniquement respectées par les salafistes de leur quartier. Ils boivent de l’alcool, sortent, pratiquent des activités illégales. Un beau jour, ils décident de faire concorder l’un avec l’autre. À partir de là, ils deviennent cohérents et se transforment en « musulman exclusif ».

Qu’est-ce qui les incite finalement à passer à l’acte?

On peut voir le radicalisme comme une réponse au vide idéologique caractéristique de notre époque, de nos sociétés. Il n’y a plus rien qui nous dépasse, pas d’idée qui nous lie. Le deuxième élément primordial qui contribue selon moi à la radicalisation c’est la mollesse effarante dont nous faisons preuve à l’égard de ces garçons. Omar Mostefaï, l’un des terroristes du Bataclan, a été condamné huit fois entre 2004 et 2010, et il n’est pas le seul, loin de là. C’est dramatique, car quel message cela donne-t-il aux jeunes qui grandissent sans normes et sans limites ?

Généralement, les peines de prison ne leur font pas du bien, beaucoup y radicalisent. Voir aussi l’histoire du converti Benjamin Herman, qui a assassiné quatre personnes.

Est-ce une raison pour laisser les choses suivre son cours? Quelqu’un à qui on n’oppose aucune limite ira toujours plus loin. Après leur visite au commissariat, ils rentrent chez eux comme des héros. Jamais, quelqu’un ne leur dit : maintenant, c’est terminé. Il faudrait placer les pires meneurs beaucoup plus tôt dans un internat au régime sévère, mais humain, et leur donner une formation utile. Après le premier délit, il faut faire preuve de fermeté, leur montrer qui est le plus fort, il n’y a que pour ça qu’ils ont du respect. À présent, l’état est méprisé. Si vous ne le faites pas, d’autres rempliront le trou créé par notre faiblesse.

Et s’ils se retrouvent tout de même en prison ?

Là aussi, on peut les isoler et les obliger à suivre une formation.

Pourquoi vos propositions ont-elles peu de chances d’aboutir?

C’est trop cher, c’est ce qu’on nous dit souvent. Comme si aujourd’hui la société ne dépensait pas beaucoup d’argent dans la lutte contre le terrorisme. Il n’y a pas de remède miracle, mais il me semble qu’il vaut vraiment la peine d’investir dans la phase qui précède la radicalisation.

Pourquoi craignons-nous une approche plus ferme?

Ici aussi, l’idéologie victimaire se venge. Je pense que c’est pire en France que dans beaucoup d’autres pays. La majorité des magistrats sont très à gauche et disent rapidement : oui, mais ce garçon a grandi sans son père et sa mère ne pouvait plus gérer, on ne peut pas le condamner pour vol à la tire. Alors que cela devrait être le moment de le traiter fermement. Dans l’enseignement aussi, on rencontre cette façon de tout excuser, les enseignants parlent tout le temps de discrimination. C’est tellement facile aussi : « La société est coupable, nous sommes tous coupables. »

C’est très fâcheux, car les victimes que l’on dit défendre sont traitées comme des enfants irresponsables à qui on ne pourrait pas poser d’exigence. Je discutais avec une enseignante qui étudie des textes de Grand Corps Malade en classe. Parce que dit-elle, je ne dois pas m’amener avec Gustave Flaubert ou un autre grand auteur, alors ils décrochent immédiatement. Elle abandonne donc la lutte à l’avance. C’est catastrophique, car à la maison ils n’entendront jamais parler de Flaubert. Si ces enfants n’entrent pas en contact avec la culture à l’école, ils ne le feront nulle part.

Comment feriez-vous, un exemplaire de Madame Bovary à la main, face à une classe de trente adolescents de quinze ans à Seine-Saint-Denis?

Je comprends très bien que ce soit difficile, mais il faut le faire, sinon l’enseignement n’a plus de sens. On ne changera pas leurs parents, on a l’obligation de leur proposer le cadre qui leur manque à la maison. Même si vous n’atteignez que deux ou trois élèves, vous en aurez sauvé deux ou trois. C’est mieux que zéro ! L’intention de cette enseignante est bonne, elle veut adhérer aux centres d’intérêt des enfants pour leur inculquer de la poésie. Mais le résultat est terrible. Également parce qu’elle ne fait pas le poids contre son collègue barbu de l’école coranique qui lui n’hésite pas à demander une tâche difficile à ses élèves : lire le Coran en arabe. C’est dur, et les enfants sont fiers quand ils y arrivent, ils respectent cela.

Que pouvons-nous faire pour favoriser un islam plus aimable? Macron essaie notamment d’avoir une emprise sur la formation des imams et les flux d’argent. Est-ce utile ?

C’est de l’énergie gaspillée. On ne peut changer les textes sacrés et les interprétations. Ce que pensent les gens, ce dont ils sont persuadés, n’est pas aux mains de l’état. Dans un contexte globalisé, cela n’a aucun sens. L’État français ne doit pas prétendre qu’une musulmane peut très bien vivre sans voile, mais simplement maintenir les règles (tels que l’interdiction du voile dans l’enseignement public). Je conseillerais de lutter contre l’islam radical, mais n’essayez pas de réformer l’islam, et abstenez-vous de déclarations théologiques.

L’islam radical est-il plus présent en banlieue qu’il y a dix, quinze ans ?

Les salafistes sont une petite minorité, mais ici et là ils peuvent marquer leur empreinte sur l’environnement. Ces derniers temps, de nombreux quartiers ont indéniablement connu un processus d’islamisation ou de halalisation. Les fanatiques renforcent le contrôle social islamique : qui ne porte pas de voile, qui achète de l’alcool, qui va à quelle mosquée, etc. Cela peut aller si loin que des gens sont traités d' »impurs ».

La popularité de théories de complot et d’idées radicales parmi la jeunesse inquiète également. D’après une étude récente parmi 7000 élèves de 15 à 16 ans habitants dans des quartiers défavorisés, il s’avère que la moitié d’entre eux pense que la CIA est derrière l’attentat de Charlie Hebdo. Cependant, la halalisation n’est pas uniquement poussée par les salafistes : ces derniers sont concurrencés par les musulmans « communautaires ». Les communautaires sont aussi strictement croyants, mais plus tolérants à l’égard des différences de pratique religieuse. Ils ne sont pas comme les salafistes à l’affût de confrontations frontales avec la société française, mais demandent des heures de natation séparées pour les hommes et les femmes, et le voile dans la fonction publique.

D’après une étude de l’Institut Montaigne, 28% des musulmans français préfèrent la sharia à la constitution française. N’est-ce pas énorme ?

Il faut se méfier de ces chiffres. Beaucoup de musulmans diront que rien ne surpasse la sharia si on leur demande. Mais si un référendum leur permettait de décider demain s’ils veulent vivre dans un tel régime, je ne pense pas qu’on atteindrait de tels chiffres. Il ne faut jamais perdre la diversité parmi les musulmans de vue. Seuls les plus radicaux consentent aux attentats, même s’ils ne le diront jamais directement. Beaucoup d’autres – des radicaux aux musulmans communautaires – sont adeptes d’une théorie du complot, ils prétendent que les violences cachent des forces obscures qui veulent abîmer l’islam. Quoi qu’il en soit, ces gens ne partiront pas, nous devons vivre avec eux. Mais à mon avis, on n’y arrivera qu’en étant très clair.

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